mercredi 9 novembre 2011

De quel avenir le jeu est-il porteur?

(source: aMERICAN nIHILIST)





En 1958, des membres de l’Internationale situationniste apportaient une définition du jeu qui allait à l’encontre de la société marchande qu’ils dénonçaient. Ils écrivaient :

La nouvelle phase d’affirmation du jeu semble devoir être caractérisée par la disparition de tout élément de compétition. La question de gagner ou de perdre, jusqu’à présent presque inséparable de l’activité ludique, apparaît liée à toutes les autres manifestations de la tension entre individus pour l’appropriation des biens (source).

La dimension compétitive du jeu devait être mise à bas au profit du développement de ses aspects collectifs. En outre, il ne devait plus exister de distinction entre le jeu et le quotidien. En fait, c’est la vie elle-même qui se devait d’être ludique. Cette définition du jeu demeure toujours aussi séduisante aujourd’hui. Néanmoins, l’accumulation des points et le perfectionnement de notre statut de joueur apparaissent comme les relents de l’accumulation des biens et de la bonification de nos conditions socioéconomiques individuelles. Pire encore, des responsables du marketing ont annexé la sphère ludique et créé ce qu’ils appellent la « gamification ».

La gamification

La gamification repose sur la transposition des éléments qui font le plaisir du jeu en-dehors du cadre ludique. Par exemple, des sites web utilisent ce procédé pour attirer la clientèle vers des services et les fidéliser, à l’image de Foursquare. Ses principales caractéristiques et recettes sont les suivantes :

·         Des règles minimales;
·         Une dimension immersive;
·         Une implication importante avec le monde réel du joueur;
·         Des gains en points ou la collection d’items;
·         L’acquisition d’un statut;
·         Des rendez-vous;
·         Une progression menant à la réalisation d’un objectif;
·         La réalisation collective d’un objectif et les échanges entre joueurs;
·         L’emploi de mécanismes de rétroaction;
·         Permettre la personnalisation du service gamifié.
La gamification doit être distinguée des “jeux sérieux” (en anglais: “serious games”), qui prennent la forme de jeux vidéo conventionnels (source de la définition: Rémi Sussan).

Ce phénomène m’apparaît comme le dévoiement total de la vision situationniste du jeu, puisqu’il est mis au service des entreprises, qu’il repose sur la performance individuelle des joueurs et qu’il brouille les frontières entre le quotidien et la consommation de biens et services là où le jeu devrait devenir la finalité du quotidien. L’avènement d’une culture participative sur le web pointe cependant vers des avenues prometteuses en matière de jeu, proches de l’utopie situationniste.

Pour de meilleurs usages du jeu

Qu’est-ce que la culture participative? C’est une culture générée par des publics qui sont vus, selon Jonathan Martel, chargé de cours au Département de communication sociale et publique, comme des « « modes d’association » entre individus et entre groupes engagés dans la réalisation d’expériences collectives » (source : LabCMO) ou encore, selon la définition du chercheur Henry Jenkins, comme des récepteurs actifs qui s’approprient les médias par le biais du discours, du mixage ou de la création d’œuvres amateurs, s’en inspirent et les prolongent. Le web participatif, quant à lui, qui participe à cette culture et qui y est même central, peut être vu comme un phénomène basé sur l’activité plutôt que sur le contenu généré par cette activité (source : Sébastien Paquet, pour le cours INF 6107).

Ces caractéristiques sont fondamentales, car elles montrent en quoi le jeu, défini et pratiqué dans le cadre de la culture participative, peut être productif sans que cela en constitue la finalité - bref tout en demeurant ludique et affranchi d’une logique marchande – et comment il peut prendre une forme collaborative tout en échappant à l’esprit de compétition.

Parmi les avenues intéressantes du web participatif que peut emprunter le jeu, en voici deux :

La première concerne les jeux en ligne à travers lesquels les joueurs contribuent à la recherche scientifique. Le jeu EteRNA, produit par des chercheurs des universités américaines Carnegie Mellon et Stanford, demande aux internautes d’assembler des molécules d’ARN, de façon à ce que les biologistes puissent mieux comprendre leur formation. Sur le site d’EteRNA, les joueurs ont également la possibilité de comparer leurs hypothèses et leurs résultats. Le jeu Phylo, de l’Université McGill, fonctionne selon le même principe et porte sur la génomique comparative (source : Cyberpresse).

Ces jeux permettent aux individus de contribuer, dans la vie quotidienne, indépendamment de leur niveau d’éducation et de leur formation professionnelle, au savoir humain et, de ce fait, construire leur avenir en tant qu’élément d’une vaste collectivité : l’humanité.

La seconde avenue se rapporte aux jeux en réalité alternée conçus pour améliorer la vie des joueurs et pour résoudre des problèmes de la vie réelle. Elle est principalement représentée par la conceptrice de jeux vidéo Jane McGonigal.
La journaliste Marie Lechner définit les jeux en réalité alternée comme suit :
ctions immersives qui brouillent les frontières entre le monde réel et imaginaire, se déploient à la fois en ligne et dans la vraie vie, se propagent par tous les canaux : coups de fils anonymes, chasses aux trésors dans la ville, textos, dans les journaux, pubs télé, affiches, e-mails, sites Internet, etc. (citée dans LePost).

McGonigal propose de rendre le monde réel plus proche du jeu et cherche des moyens pour régler les problèmes concrets que rencontre l’humanité (pénurie de pétrole, crises alimentaires, etc.) par l’utilisation des jeux vidéo et du web.

A World Without Oil, co-développé par Ken Eklund, Dee Cook, Marie Lamb, Michelle Senderhauf et Krystyn Wells, est un exemple concret de tels jeux. Il a été organisé entre le 30 avril et le 1er juin 2007. Le jeu simulait une pénurie de pétrole et demandait aux joueurs qu’ils imaginent et documentent leur vie dans cette situation et qu’ils trouvent des solutions pour s’y adapter. Au total, c’est l’intelligence et l’imagination collectives de 1700 joueurs actifs qui ont été mobilisées pour élaborer des scénarios d’anticipation, lesquels constituent une somme d’informations pertinente pour les politiciens, les éducateurs et les gens ordinaires qui pourraient être amenés, éventuellement, à s’en servir dans une crise réelle (source : Current.org).

Ces approches que nous avons évoquées ont été peu explorées, jusqu’à maintenant. Néanmoins, elles sont porteuses de grandes potentialités. Leur systématisation pourrait s’avérer cruciale pour relever des défis à l’échelle nationale, voire même globale.


Pour clore ce billet, voici quelques liens à visiter :

Sur les jeux à contribution scientifique :
·         EteRNA : http://eterna.cmu.edu
·         Foldit : http://fold.it
·         Phylo : http://phylo.cs.mcgill.ca/fr/index.html

Sur les propositions de Jane McGonigal et sur ses jeux à réalité alternée :
·         Conférence donnée en 2010 au TED : Gaming can make a better world
·         Entrevue donnée en 2007 à IT Conversation
·         Les jeux créés par Jane McGonigal

Vous pouvez, en outre, accéder à l’intégralité des revues publiées par l’Internationale situationniste en cliquant ici.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire