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(source: aMERICAN nIHILIST) |
En 1958, des membres de l’Internationale situationniste
apportaient une définition du jeu qui allait à l’encontre de la société
marchande qu’ils dénonçaient. Ils écrivaient :
La nouvelle phase d’affirmation du jeu semble devoir être caractérisée par la disparition de tout élément de compétition. La question de gagner ou de perdre, jusqu’à présent presque inséparable de l’activité ludique, apparaît liée à toutes les autres manifestations de la tension entre individus pour l’appropriation des biens (source).
La dimension
compétitive du jeu devait être mise à bas au profit du développement de ses
aspects collectifs. En outre, il ne devait plus exister de distinction entre le
jeu et le quotidien. En fait, c’est la vie elle-même qui se devait d’être
ludique. Cette définition du jeu demeure toujours aussi séduisante aujourd’hui.
Néanmoins, l’accumulation des points et le perfectionnement de notre statut de
joueur apparaissent comme les relents de l’accumulation des biens et de la
bonification de nos conditions socioéconomiques individuelles. Pire encore, des
responsables du marketing ont annexé la sphère ludique et créé ce qu’ils
appellent la « gamification
».
La gamification
La gamification
repose sur la transposition des éléments qui font le plaisir du jeu en-dehors
du cadre ludique. Par exemple, des
sites web utilisent ce procédé pour attirer la clientèle vers des services et
les fidéliser, à l’image de Foursquare.
Ses principales caractéristiques et recettes sont les suivantes :
·
Des règles minimales;
·
Une dimension immersive;
·
Une implication importante avec le monde réel du joueur;
·
Des gains en points ou la collection d’items;
·
L’acquisition d’un statut;
·
Des rendez-vous;
·
Une progression menant à la réalisation d’un objectif;
·
La réalisation collective d’un objectif et les échanges entre joueurs;
·
L’emploi de mécanismes de rétroaction;
·
Permettre la personnalisation du service gamifié.
La gamification doit être distinguée des “jeux sérieux” (en anglais:
“serious games”), qui prennent la forme de jeux
vidéo conventionnels (source de la définition: Rémi Sussan).
Ce phénomène m’apparaît comme le dévoiement total de la vision situationniste
du jeu, puisqu’il est mis au service des entreprises, qu’il repose sur la
performance individuelle des joueurs et qu’il brouille les frontières entre le
quotidien et la consommation de biens et services là où le jeu devrait devenir la finalité du quotidien.
L’avènement d’une culture participative sur le web pointe cependant vers des
avenues prometteuses en matière de jeu, proches de l’utopie situationniste.
Pour de meilleurs usages du jeu
Qu’est-ce que la culture participative? C’est
une culture générée par des publics qui sont vus, selon Jonathan Martel, chargé
de cours au Département de communication sociale et publique, comme des « «
modes d’association » entre individus et entre groupes engagés dans la
réalisation d’expériences collectives » (source : LabCMO) ou encore, selon la définition du chercheur Henry Jenkins, comme des récepteurs
actifs qui s’approprient les médias par le biais du discours, du mixage ou de
la création d’œuvres amateurs, s’en inspirent et les prolongent. Le web participatif, quant à lui, qui participe
à cette culture et qui y est même central, peut être vu comme un phénomène basé
sur l’activité plutôt que sur le contenu généré par cette activité (source : Sébastien Paquet, pour le
cours INF
6107).
Ces caractéristiques sont fondamentales, car elles montrent en quoi le
jeu, défini et pratiqué dans le cadre de la culture participative, peut être
productif sans que cela en constitue la finalité - bref tout en demeurant
ludique et affranchi d’une logique marchande – et comment il peut prendre une
forme collaborative tout en échappant à l’esprit de compétition.
Parmi les avenues intéressantes du web participatif que peut emprunter
le jeu, en voici deux :
La première concerne les jeux en ligne à travers lesquels les joueurs
contribuent à la recherche scientifique. Le jeu EteRNA, produit par des
chercheurs des universités américaines Carnegie Mellon et Stanford, demande aux
internautes d’assembler des molécules d’ARN, de façon à ce que les biologistes
puissent mieux comprendre leur formation. Sur le site d’EteRNA, les joueurs ont également la
possibilité de comparer leurs hypothèses et leurs résultats. Le jeu Phylo, de l’Université
McGill, fonctionne selon le même principe et porte sur la génomique comparative
(source : Cyberpresse).
Ces jeux permettent aux individus de contribuer, dans la vie quotidienne,
indépendamment de leur niveau d’éducation et de leur formation professionnelle,
au savoir humain et, de ce fait, construire leur avenir en tant qu’élément
d’une vaste collectivité : l’humanité.
La seconde avenue se rapporte aux jeux en
réalité alternée conçus pour améliorer la vie des joueurs et pour résoudre des
problèmes de la vie réelle. Elle est principalement représentée par la
conceptrice de jeux vidéo Jane McGonigal.
La journaliste
Marie Lechner définit les jeux en
réalité alternée comme suit :
ctions immersives qui brouillent les frontières
entre le monde réel et imaginaire, se déploient à la fois en ligne et dans la
vraie vie, se propagent par tous les canaux : coups de fils anonymes, chasses
aux trésors dans la ville, textos, dans les journaux, pubs télé, affiches,
e-mails, sites Internet, etc. (citée dans LePost).
McGonigal propose de rendre le monde réel plus
proche du jeu et cherche des moyens pour régler les problèmes concrets que
rencontre l’humanité (pénurie de pétrole, crises alimentaires, etc.) par
l’utilisation des jeux vidéo et du web.
A World Without Oil,
co-développé par Ken Eklund, Dee Cook, Marie Lamb, Michelle Senderhauf
et Krystyn Wells, est un
exemple concret de tels jeux. Il a été organisé entre le 30 avril et le 1er juin 2007. Le jeu simulait une pénurie de pétrole et demandait aux
joueurs qu’ils imaginent et documentent leur vie dans cette situation et qu’ils
trouvent des solutions pour s’y adapter. Au total, c’est l’intelligence et
l’imagination collectives de 1700 joueurs actifs qui ont été mobilisées pour
élaborer des scénarios d’anticipation, lesquels constituent une somme d’informations
pertinente pour les politiciens, les éducateurs et les gens ordinaires qui
pourraient être amenés, éventuellement, à s’en servir dans une crise réelle (source :
Current.org).
Ces approches que nous avons
évoquées ont été peu explorées, jusqu’à maintenant. Néanmoins, elles sont porteuses
de grandes potentialités. Leur systématisation pourrait s’avérer cruciale pour
relever des défis à l’échelle nationale, voire même globale.
Pour clore ce billet, voici quelques
liens à visiter :
Sur les jeux à contribution scientifique :
Sur les propositions de Jane McGonigal et sur ses jeux à réalité
alternée :
Vous pouvez, en
outre, accéder à l’intégralité des revues publiées par l’Internationale
situationniste en cliquant ici.
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