mardi 15 novembre 2011

L’identité numérique mise à plat/au pas


Dans son billet Une histoire hors du temps, Luc Gauvreau soulève l’importante problématique de la chronologie sur le web : comment dater la création et la publication d’un document? Quand a-t-il été mis en ligne initialement et quelles ont été les étapes successives de sa diffusion? Le blogueur compare cette indétermination temporelle à la tradition orale, au sein de laquelle le fruit de la communication revêt « une origine obscure, non datée, crée(e) par on ne sait qui, texte-document transformé tranquillement, par de petites variations qui, au bout de plusieurs transformations, devient souvent peu reconnaissable. Phénomène proche aussi de la dispersion d'une rumeur ».

Ce constat m’amène à m’interroger sur ce qu’est l’identité numérique, alors que le temps, sur le web, est mis à plat et que la datation apparait comme un cauchemar insoluble.

Frédéric Cavazza définit l’identité numérique comme un ensemble de bribes de données formelles et informelles qui constituent, prises dans leur ensemble, l’identité, la personnalité, l’entourage et les habitudes d’un individu (source : Fredcavazza.net). Or ces données apparaissent de manière éparse sur le web, à travers une multitude de sites et de contextes qui n’ont souvent rien en commun - qui ne sont pas « hyperliés » entre eux -  et qui sont offerts par les moteurs de recherche dans le plus grand désordre chronologique.

Que signifie cette mise à plat temporelle? Que vous avez 30, 23 et 17 ans simultanément. Que vous soutenez tout à la fois les Verts, les Libéraux et les Conservateurs. Que vous aimez le Death Metal et le doigté de Vladimir Horowitz. Bref, cette mise à plat signifie que votre identité numérique est un synoptique de votre vie passée à laisser des traces sur le web. Donc, rien ne garantit qu’une requête à votre nom menée sur un moteur de recherche ne sortira pas des souvenirs pénibles de lendemain-de-veille inconséquents d’il y a cinq ans avant de mentionner que vous avez été récipiendaire de la bourse Armand-Bombardier l’année dernière, avec toutes les conséquences que ça pourrait avoir sur la demande d’emploi de demain.
(source: Vincent Abry)



Cependant, les dommages collatéraux liés à cet état de fait ne constituent pas l’objet de ce billet. Ce qui m’intéresse est plutôt de savoir quelles seront nos stratégies, en tant que « webacteurs », pour organiser ce magma identitaire atemporel en un tout sinon harmonieux, du moins cohérent. De quelle manière rendrons-nous signifiante notre présence sur le web au regard des multiples « moi » de tous âges qui le hantent? À ce titre, la nouvelle fonctionnalité de Facebook, Timeline, offre une solution partielle à la problématique du désordre temporel de notre identité et ouvre la porte à de nouvelles manières de l'ordonner, de nouveaux modes de « présentation de soi », pour reprendre l’expression d’Erving Goffman.
  

Tous aux abris?  

(source: Torwars.com)

Un tour rapide des questions de l’identité numérique et de l’e-reputation montre à quel point la mise à plat temporelle effraie (lire, à ce titre, le billet Médias sociaux : effacer son passé avant qu’il vous rattrape, d’Éric Dupin). Mais plutôt que de monter au créneau et d’adopter une gestion maniaque de son identité numérique, ne conviendrait-il pas simplement de l’assumer avec tout ce qu’elle contient de dérapages, mais aussi d’authenticité?

Cette obsession contemporaine de la cosmétique identitaire - voire, selon l’ampleur du camouflage, de l’embaumement identitaire - est appelée à disparaître dans les années à venir, dans la mesure où la banalisation des outils du web social devrait s’accompagner de la mise en place de règles (tacites) de bienséance et de modèles de comportements qui y seront adaptés. Les jeunes usagers, si l’on en croit un sondage récent réalisé par TNS Sofres, pavent déjà la voie à un usage plus responsable des réseaux sociaux au regard de la vie privée.  

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