mercredi 16 novembre 2011

Communauté et réalité virtuelle: le mélange des genres dans le monde de Gor

(source: Basile Segalen)
Dans l’article Communautés virtuelles : ce qui fait lien, Serge Proulx se réfère au sociologue Ferdinand Tönnies pour définir la communauté comme un ensemble de personnes liées émotionnellement et géographiquement. Il définit ensuite la « virtualité », dans un contexte technologique, comme un environnement à la fois social et symbolique qui constitue une simulation du réel. Les communautés virtuelles forment alors des ensembles de personnes unies par des intérêts communs, mais éloignées géographiquement. Proulx distingue la notion de « communauté virtuelle » de celle de « réalité virtuelle », car la communauté virtuelle permet d’établir des échanges réels hors de la coprésence physique, alors que la réalité virtuelle désigne un environnement simulé dans lequel les sujets sont immergés et avec lequel ils interagissent en expérimentant des sensations artificielles. La réalité virtuelle transforme alors le rapport à la vérité, puisque les objets qu’elle contient ne sont pas simplement des représentations, devenant vrais lorsqu’ils sont expérimentés par les sujets. Le chercheur ajoute que les deux notions présentées ne sont pas incompatibles, car elles président aux jeux collectifs tels que les MUD et les MOO, qui estompent la frontière entre réel et virtuel.

La combinaison entre communauté et réalité virtuelles se retrouve également dans le cadre des MUVE (Multi-User Virtual Environments) et des MMOG (Massively Multiplayer Online Game), leurs descendants directs. Le cas spécifique de la communauté goréenne de Second Life illustrera la complexité qui ressort de cette combinaison.


La communauté goréenne de Second Life

(Second Life Gorean Community)

La communauté goréenne est composée de joueurs qui ont en commun leur passion pour les Chroniques de Gor, romans de science-fiction écrits par John Norman. Ces romans sont fortement teintés de machisme et de sadomasochisme et  se déroulent dans un monde structuré autour de l’esclavage et de la barbarie (source : H+ Magazine). Il s’agit donc d’une communauté d’intérêt.



Les membres d’une communauté sont liés de quatre façons : ils partagent certaines caractéristiques communes, ils se conforment au comportement qu’il est attendu d’eux, ils respectent les règles internes de la communauté et leur identité est partiellement déterminée par leur appartenance à celle-ci (source : INF 6107). Voyons comment ces liens s’appliquent à la communauté goréenne (nos observations reposent sur l’article The Gorean Community in Second Life: Rules of Sexual Inspired Role-Play, de Tjarda Sixma) :

(source: Elle's world)

Caractéristiques : les membres de la communauté goréenne adhèrent à la philosophie de Norman et la connaissance de son œuvre est un pré-requis. Les avatars, quant à eux, sont soumis à un ensemble de traits sociaux précis (division en castes, par exemple). La distinction entre membres et non-membres s’accompagne également d’une division physique : un mur invisible sépare les Goréens des autres avatars de Second Life.

Comportements : les joueurs ne peuvent communiquer qu’en conformité avec leur personnage. Aussi, les discussions hors-personnages (entre les usagers de Second Life), les comportements déplacés de la part des joueurs ou l’emploi d’expressions propre au « tchat » (« LOL », par exemple) sont désapprouvés (source : Tjarda Sixma). Il s’agit, d’une part, de protéger la vraisemblance du jeu de rôle et de réguler les comportements des joueurs. Les comportements des avatars, quant à eux, dépendent des us et coutumes attendues des habitants de la planète fictive de Gor.  

Règles internes: celles-ci sont nombreuses et changent d’une ville à l’autre. La ville de Veroda, par exemple, lie ses citoyens par une charte rédigée par les propriétaires du SIM (l’environnement 3-D qui représente la ville en question, créée et gérée dans le cadre de Second Life). Des règles régissent la résolution de conflits entre les joueurs, d’autres sont propres à chacune des castes du monde de Gor et d’autres encore concernent l’ensemble de ses habitants. Ces dernières s’accompagnent de peines, advenant leur non-respect (châtiments corporels, peine de mort, etc.).


Identité : Un sentiment d’adhésion à la culture et à la philosophie goréennes des joueurs, ainsi qu’une passion commune pour l’œuvre de Norman définit l’identité de ceux-ci. C’est en ce sens que la communauté goréenne est une communauté d’intérêt. Les degrés d’identification et d’adhésion sont néanmoins variables d’un membre à l’autre et président à la création de sous-communautés. Cette variabilité se rapporte à deux continuums. Le premier est lié à l’implication du joueur dans son avatar. Il va du joueur pur et dur (« lifestyler »), qui tend à ne pas opérer de distinction entre lui et son personnage, au simple rôliste (« role-player »), qui joue un rôle distinct de sa personne. Le second continuum concerne le degré de fidélité des lecteurs par rapport à l’œuvre de John Norman. D’un côté se trouvent les puristes, qui n’acceptent pas l’incarnation de personnages non tirés des romans des Chroniques de Gor. De l’autre côté se trouvent les « Disney Gor » (terme péjoratif employé par les puristes), soit les joueurs qui prennent certaines libertés vis-à-vis de l’œuvre.


L'interpénétration de la communauté, de la communauté d'intérêt et de la réalité virtuelle

               ( *Gorean Landscape in Second Life* ) 

Si l’on revient à la combinaison entre la communauté et la réalité virtuelles, on constate d’abord que la communauté goréenne n’est d’« intérêt » qu’au niveau des joueurs. D’un point de vue fictionnel, par contre, les personnages forment des communautés au sens strict définit par Ferdinand Tönnies. En effet, elles sont ancrées géographiquement et revêtent une dimension émotive importante : érotisme, haine entre les clans et entre les villes, mépris ou attirance pour les membres des autres castes, soumission envers le maître, sentiment de puissance envers l’esclave, etc.

C’est par l’émotion et principalement par l’érotisme qu’il est possible de parler de réalité virtuelle au sein de la communauté goréenne, puisque les joueurs éprouvent, à travers leur avatar - une entité virtuelle - des émotions et des sensations érotiques réelles, concrètes. Les joueurs vivent donc dans une communauté au sens traditionnel par leur incarnation dans un corps numérique. 

Pour en savoir plus sur les Goréens:

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire