(source: Laboratoire Urbanisme Insurrectionnel) |
Pour l’historien, l’étude de la culture s'effectue au niveau de la relation sociale plutôt que dans une perspective individuelle, relation qui est déterminante, dans la mesure où le sujet est le lieu d’une multitude incohérente et contradictoire de relations sociales qu’il faut appréhender sous forme de schémas d’action. Dans ce contexte, il ne convient pas d’étudier les produits de la consommation, mais les modes d’opération des objets sociaux et la manière dont les usagers génèrent la culture par leurs combinaisons.
Dans le
cadre du web participatif, la culture est le fruit de publics perçus comme des «
modes d’association » entre individus et entre groupes engagés dans la
réalisation d’expériences collectives » (source : Jonathan
Martel). Henry
Jenkins, pour sa part, sans doute le plus certalien des communicologues,
considère les consommateurs de biens culturels comme des récepteurs actifs qui
s’approprient les médias par le biais du discours, du mixage ou de la création
d’œuvres amateurs, s’en inspirent et les prolongent. Enfin, selon le chercheur
Sébastien Paquet, la finalité du web
participatif n’est pas constitué par les contenus générés par les participants,
mais bien par le processus de génération de ces contenus (source : cours
INF 6107).
Le web participatif garde aujourd’hui les traces explicites des usages
sociaux, de ces «actions qui ont leur formalité et leur inventivité propres et
qui organisent en sourdine le travail fourmilier de la consommation» (de
Certeau, 1990, p. 52). Non seulement en garde-t-il les traces, mais il est tout
entier constitué de l’entremêlement de ces activités, de cette consommation. Danielle Aubry qualifie d’herméneutique populaire le travail de réception des œuvres
populaires qui font l’objet de transformations au sein de la culture
participative (source : Samuel
Archibald). Cette herméneutique se concrétise en des contenus inédits
(films, œuvres d’arts visuelles et littéraires, etc.) qui illustrent les
modalités de la consommation de biens culturels. Au regard du degré
d’implication que nécessitent ces créations, il n’est guère surprenant de constater
que c’est au sein des communautés de fans qu’elles naissent et sont
consommées.
De
Certeau a recherché à son époque les outils les mieux à même de rendre compte
des usages sociaux des biens culturels et de la création ordinaire,
quotidienne. Le défi était de taille, car il ne restait de ces activités aucune
trace observable à étudier. Aujourd’hui, la démarche des chercheurs en
communication, des sociologues et des théoriciens de la culture est facilitée
par le web social. Les réseaux sociaux, les forums, les blogues et les
plateformes de partage de contenus conservent l’ensemble des activités de
partage, de mixage, de subversion, de critique, d’extension et de consommation
des biens culturels.
Décédé
avant que l’Internet ne devienne un phénomène de masse, l’historien n’a pu voir
s’épanouir la culture de l’usager-consommateur telle qu’il l’avait envisagée et
théorisée, dans le contexte du web participatif. Je décrirai donc, en guise
d’hommage au grand homme, quelques pratiques emblématiques de la culture de
participation et listerai des œuvres qui en sont représentatives. Il s’agit de
la production de fanfictions, de fanfilms et de machinimas.
Les fanfictions
et les fanfilms
La fanfiction est “une fiction écrite par un fan, un adepte, d'une série
télévisée, d'un film, d'un dessin animé (anime), d'un jeu vidéo, d'un livre ou
d'une bande dessinée à partir de l'univers et/ou des personnages de l'œuvre
qu'il apprécie. Une fan fiction peut aussi mettre en scène des célébrités
existantes.” (source: Slayer’s Time)
Selon Martial Martin, les premières fanfictions remontent au début du XXe siècle et constituent l’extension des aventures de Sherlock Holmes (les Baker Street Irregulars), puis, à partir des années 1930, des œuvres d’H. P. Lovecraft (avec la création des éditions Arkham House).
Selon Martial Martin, les premières fanfictions remontent au début du XXe siècle et constituent l’extension des aventures de Sherlock Holmes (les Baker Street Irregulars), puis, à partir des années 1930, des œuvres d’H. P. Lovecraft (avec la création des éditions Arkham House).
Les
œuvres qui alimentent ces fictions sont habituellement sérielles et
appartiennent à des genres tels que le fantastique et la science-fiction. Elles
forment des corpus disjoints qui prennent place dans un ou des répertoires
génériques plus vastes, constituant un vaste champ favorisant
l’intertextualité, champ que nous rapprocherons, par homologie, de celui,
hypertextuel, qu’est le web et qui en est un vecteur naturel. Ce corpus
disjoint favorise les « crossover » (des points de rencontre entre
deux séries distinctes), l’exploitation des ellipses entre deux épisodes ou des
blancs dans la vie de personnages secondaires. Parfois, les auteurs de
fanfictions prennent des libertés et modifient l’alignement moral des
personnages ou les impliquent dans des aventures érotiques ou pornographiques
(à l’image des Tijuana
Bibles qui circulaient sous le manteau dans les années 1930-50, aux États-Unis).
Le
lecteur de fanfiction occupe une part active dans le processus de production,
par le biais de ses commentaires et de ses évaluations. Lecture et écriture sont
à considérer comme deux facettes d’une même activité collaborative
(source : Martial
Martin).
Voici quelques liens pour
découvrir cet univers : Fanfics.fr
est un site consacré aux fanfictions francophones et Fanfiction.net,
aux fanfictions anglophones. Une bibliographie
d’ouvrages consacrés au sujet est également disponible sur Études Fanfiction.
Le
phénomène du fanfilm est du même ordre que la fanfiction, mais il se décline
sous une forme audiovisuelle. La collaboration est ici plus évidente, puisque
les tournages exigent le travail de nombreux participants bénévoles. Le moyen-métrage
The Hunt for
Gollum est, à ce titre, emblématique, puisqu’il a demandé le concours
de 160 personnes pour sa réalisation, dont 60, réparties à travers le web, ont
collaboré aux effets spéciaux (source : BBC News).
Le site Fanfilms.net diffuse plusieurs
centaines de films classés selon les fictions originales qui les ont inspirés. Atom, quant
à lui, est le site diffuseur des fanfilms tirés de Star Wars qui ont été officiellement approuvés par Lucasfilms. Le journal en
ligne Fan Cinema Today est spécialisé
sur le sujet et référence plusieurs sites web qui sont
consacrés à ce moyen d’expression. Enfin, le blogue Confessions of an Aca-fan, d’Henry Jenkins,
contient plusieurs billets consacrés aux fanfilms et, plus largement, au
phénomène de la culture participative.
Hardware Wars, premier fanfilm consacré à Star Wars.
Les
machinimas
Les machinimas (mot-valise
constitué de machine+anime+cinéma) sont des films conçus en temps réel et dans
des environnements tridimensionnels, à partir de moteurs de jeux vidéo (source: Machinima.org) ou de
mondes virtuels (Second life,
par exemple). S’il existe une grande variété de thèmes traités dans ces films,
ils n’en demeurent pas moins fortement teintés par les cultures
«gamer » et « geek ».
Voici une définition par l'exemple des machinimas...
La production d’un machinima est
un processus collaboratif, dans la mesure où la
manipulation des personnages (appelée « digital
puppetry ») nécessite en général la participation de plusieurs joueurs
simultanément.
Selon Gabriel
Gaudette, il existe trois types de machinimas : les machinima
conventionnels, subversifs et transgressifs. Les deux premiers s’inscrivent
dans l’univers du jeu vidéo employé pour produire le film, le deuxième
remettant en cause cet univers. Le troisième est indépendant de l’univers du
jeu vidéo, ce dernier servant uniquement d’outil.
Pour en savoir plus sur les machinimas, un historique du genre
est dressé sur le site NT2
(Nouvelles technologies, nouvelles
textualités). En outre, une bibliographie d’ouvrages académiques sur le
sujet est accessible sur le blogue myCLONE.
Voici également
quelques machinimas célèbres (source : Gabriel Gaudette):
Diary of a Camper est considéré comme le premier machinima. Il s’agit d’une performance
de joueurs capturée à partir du jeu Quake:
This Spartan Life (à gauche) constitue le premier talk-show du genre et Red vs. Blue (ci-dessous), le premier sitcom.
Enfin, le site Machinima.com est la référence en matière de diffusion de machinimas. 6,1 milliards de vidéos y ont été visionnés en 2010-2011.
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