mardi 22 novembre 2011

Les blogues et la responsabilisation des journalistes

(source: Marketing Chine)
Dans son billet Web 2.0 - Responsabilité Éditoriale, Éric Daviau nous rappelle judicieusement que si le blogueur doit rendre des comptes pour l’entièreté de ses propos, les journalistes, eux, ne sont que partiellement imputables de leurs écrits, en raison du fait que la responsabilité éditoriale relève du média qui les publie et non de l’auteur. On constate néanmoins que la blogosphère influence l’activité journalistique et que la « bloguisation » des médias d’information pourrait amener les journalistes à réviser leur éthique de travail.

Quelle est l’ampleur de la « bloguisation » ? Tout d’abord, une enquête du groupe de communication stratégique américain Brodeur indique que les blogues influencent le travail des journalistes en termes de réactivité et de rapidité. Ils apportent également de nouvelles idées et de nouvelles manières de les traiter (source : AFP-Mediawatch). Par ailleurs, les blogues auraient initié une nouvelle forme de journalisme, le « data journalisme », qui prend la forme d’articles agrémentés de contenus multimédias (vidéos, diaporamas, graphiques, etc.) (source: Press Index). Ajoutons que depuis 2007, de nombreux journaux importants se sont mis à publier des blogues tenus par leurs journalistes. Enfin, la blogosphère influence les médias en attirant l’attention sur des sujets à aborder (source : INF 6107, sections 3.3.3 et 4.5.1).

À ces modes de « bloguisation », j’ajouterai : l’incitation à la responsabilité et à la rigueur. Dans leur version en ligne, les médias écrits traditionnels accompagnent de plus en plus leurs articles de tribunes qui sont destinées à recevoir les commentaires des lecteurs. C’est le cas de La Zone Nouvelles de RADIO-CANADA.CA et des journaux Le Devoir, Libération, Le Monde et The New York Times. Ces espaces surfent sur la vague du web participatif. De manière collatérale, ils favorisent également un rappel à l’ordre des journalistes par les commentateurs, lesquels n’hésitent pas à corriger leurs erreurs, ainsi qu’à critiquer leurs imprécisions et les propos tendancieux qu’ils tiennent sous le couvert de l’objectivité.

(source: Le Devoir)
Ces rappels à l’ordre ont à voir, à mon avis, avec l’influence de la blogosphère. En effet, la structure des articles, accompagnés de leur tribune, est calquée sur celle des blogues : le contenu principal est immédiatement suivi des commentaires des lecteurs et ces derniers sont classés en ordre antéchronologique et modérés par le responsable éditorial du site (le blogueur d’un côté, le webmestre du média en ligne de l’autre).

Une telle structure favorise, selon moi, la participation active des lecteurs au contenu du média et le dialogue entre ceux-ci et l’auteur. La proximité du journaliste avec son lectorat ne peut que l’inciter à amender son écriture : sous-peser chaque mot, chaque formulation, voire chaque élément paratextuel (lorsque c’est dans son contrôle), citer ses sources, bannir les suppositions, vérifier les faits etc., puisqu’il assiste en direct à l’autopsie de ses articles par des dizaines, et parfois même des centaines, de "légistes" de l’information.

Se savoir scruté par tant d’yeux et recevoir immédiatement les rétroactions de ses lecteurs responsabilise donc le journaliste, faute de le rendre juridiquement imputable.   

lundi 21 novembre 2011

Les blogueurs du XVIIIe siècle

(source: Patrimoine canadien)

L’avènement du phénomène des blogues revêt certaines similarités avec l’évolution du journalisme au XVIIIe siècle, au point où il m’apparaît pertinent de dresser un parallèle entre le journaliste d’antan et le blogueur contemporain.







1) Indépendance et transparence
Le siècle des Lumières a vu naître de nouveaux journalistes qui affichaient leur indépendance vis-à-vis du pouvoir monarchique et créaient leur propre sphère d’influence, sans crainte d’afficher ouvertement leurs opinions. Ils se distinguaient des journaux « d’information-célébration » tels que la Gazette de Paris, trop près du pouvoir monarchique et tendancieusement informatifs. Les nouveaux journalistes se voulaient les porte-étendards de la vérité et de la justice auprès des citoyens (source : Gilles Feyel) et, tout comme les blogueurs, ils assumaient explicitement la responsabilité éditoriale de leurs écrits (source : Alain Nabarra).

Aujourd‘hui, c’est par rapport à une presse placée sous la tutelle du pouvoir économique qu’un nouveau journalisme doit se constituer, au nom de la qualité de l’information qui, sinon, ne saurait échapper à la complaisance du journalisme info-publicitaire. Les blogues apparaissent ici comme une alternative. Pour Ignacio Ramonet, l’engouement des blogues  « montre que beaucoup de lecteurs préfèrent la subjectivité et la partialité assumées des bloggers à la fausse objectivité et à l’impartialité hypocrite d’une certaine presse » (source : Médias en crise - De la qualité de l’information dépend celle du débat citoyen).  

Le journaliste des Lumières adoptait déjà, tout comme le blogueur actuel, un pacte de transparence avec son lecteur, car s’il tendait à la neutralité et à l’impartialité, il était néanmoins conscient que le fait de véhiculer de l’information participe à un art de présentation et de persuasion. Pour composer avec ce dilemme, il mettait à nu le procès d’écriture et se représentait à son lecteur en train de l’informer. Il n’hésitait pas non plus à séparer ce qui relevait de son opinion des nouvelles qu’il relatait. Enfin, il mettait l’emphase sur la situation expérimentée et donnait la parole à ceux qui vivaient la nouvelle en la livrant dans des récits vivants, qui en rendaient l’émotivité et l’instantanéité. Il informait alors le lecteur sur l’événement et le lui reconstituait (source : Alain Nabarra).


2) Hypertextualité et retransmission de documents bruts

(source: Cuisine à la française)
De la même manière que les blogues constituent, grâce aux hyperliens, une forme de veille de l’actualité, une revue du web, et qu’ils redirigent leurs lecteurs vers d’autres textes, le journal du XVIIIe siècle offrait aussi à ses lecteurs, à côté des prises de positions des narrateurs-journalistes, un florilège de documents bruts, souvent reproduits tels quels (lettres officielles,  commerciales ou de particuliers, extraits d’articles tirés d’autres journaux, etc.) (sources : Benoît Raphaël; Alain Nabarra).


3) Blogueur et journaliste: la recherche de la légitimité 

Il existe un débat à propos des blogueurs, à savoir s’ils sont ou non des journalistes. L’avocat Jacob Delebecque définit sur son blogue les critères selon lesquels un rédacteur peut revendiquer la qualité de journaliste : cette occupation doit constituer sa principale source de revenus, lesquels doivent lui être versées par une ou des publications périodiques, agences de presse et/ou entreprise de communication. Cela exclut les rédacteurs auto-publiés, mais inclut quelques blogueurs travaillant pour des médias institués. Selon cette définition, le journaliste du XVIIIe siècle n’en était donc pas un. Il faudrait alors exclure de leur profession tous les journalistes-imprimeurs, auto-publicateurs de leurs œuvres, parmi lesquels on retrouve Benjamin Franklin, Fleury Mesplets et Thomas Gilmore (ces deux derniers constituant les tout premiers journalistes du Québec), mais aussi les journalistes de la Révolution française qui vivaient non pas de leur plume, mais d’une profession libérale, tel Camille Desmoulin,  ou d’une rente, en raison de leur statut aristocratique, à l’image de Mirabeau.

Le débat sur le statut des blogueurs au regard de l’information et des médias traditionnels doit être replacé dans le contexte plus large d’une lutte entre les acteurs du champ des médias pour la définition de ce que sont une information et un rédacteur de nouvelles légitimes (voir la théorie des champs de Pierre Bourdieu). Dans ce champ, les journalistes professionnels tenaient, si l’on se fie à la définition de Jacob Delebecque, le haut du pavé, mais aujourd’hui, les médias traditionnels sont en crise : la confiance du public à leur égard s’amenuise et « le vécu subjectif de l’événement serait plus crédible qu’une impossible objectivité » (source : Sébastien Paquet). Une perte de crédibilité qui sert les artisans de la blogosphère et qui fait d’eux de nouvelles autorités cognitives.  
Encore une fois, la situation est analogue à celle que connaissaient les journalistes du XVIIIe siècles, qui ont du se distinguer des autres membres de l’institution littéraire et asseoir leur légitimité alors que les journaux étaient considérés comme « la pâture des ignorants, la ressource de ceux qui veulent parler et juger sans lire, et le fléau et le dégoût de ceux qui travaillent » (Montesquieu, Les Lettres persanes).

vendredi 18 novembre 2011

Réplique à : La psychologie de l'avatar, de Claude Alain

Ce billet constitue une réplique à La psychologie de l'avatar, de Claude Alain.

(source: États du lieu)
Voici d’abord une petite rectification que je voudrais apporter : la communication non-verbale est sans doute un besoin inné, mais la constitution de sa grammaire, elle, est acquise. Selon Ray  Birdwhistell (dans La nouvelle communication), elle entremêle l’individuel et le social. Les personnes y réagissent « comme d’après un code secret et compliqué, écrit nulle part et connu de personne, compris par tous » (p. 64). Ce code n’est pas d’ordre organique (inné), mais artificiel. Il découle des traditions sociales : chaque groupe social possède donc une grammaire non-verbale qui lui est propre.  

Ces considérations m’amènent à la notion d’incorporation, que la sociologue Sylvia Faure résume comme suit :


Les processus d’incorporation dépendent d’une assimilation/appropriation des propriétés de relations sociales où des gestes, des comportements, des manières de parler, de penser et d’agir sont « attrapées » par les individus socialisés. [Ils reposent] sur des mécanismes d’identification, d’imitation et de mimétisme se mettant en œuvre généralement dans une action (en « faisant » des choses) et/ou en regardant les autres agir. (source : Les cadres sociaux de l’incorporation).

Les comportements qui résultent de l’incorporation, ajoute-t-elle, sont modifiés par chaque individu selon ses expériences passées et en fonction des lieux, des temporalités et des autres individus.

L’incarnation d’une personne dans un avatar a ceci de limitatif qu’il est impropre à rendre la communication non-verbale, vue comme des manifestations extérieures de l’incorporation. Aussi, si « [l]es avatars sont des signes, des étendards et des drapeaux de nos différentes identités », pour reprendre la formule de Yann Leroux, ils ne révèlent rien des formes de socialisation qui ont contribué toute notre vie à modeler nos identités.

(source: Fiction IMVU)

Les avatars sont des expressions figées de nos identités qui taisent notre appartenance à des groupes sociaux, à des catégories professionnelles, à la manière dont notre gestuelle a été sculptée par le regard d’autrui (par exemple, une personne physiquement attirante se mouvra avec davantage de confiance et d’aisance qu’une personne disgracieuse). Ils font également l’impasse sur nos apprentissages corporels (la fluidité qu’apporte la pratique du ballet ou la rigidité d’une éducation sévère), sur notre âge et sur l’environnement dans lequel nous avons vécu. Ironiquement, les avatars ne sont pas à même de refléter adéquatement les modifications de comportements (et, corolairement, la communication non-verbale qui en est issue) qu’ils engendrent chez les personnes qui les contrôlent, modifications que Nick Yee appelle l’effet Protée (voir, à cet effet, l’article The Proteus Effect: The Effect of Transformed Self-Representation on Behavior, bien résumé dans le billet d’Alain).

jeudi 17 novembre 2011

Canulars et viralité: la grippe du canard

(source: Hamarkada)

Andi Arief, conseiller en gestion des désastres naturels du président de l’Indonésie, a tweeté à ses « followers », en novembre 2010, la nouvelle selon laquelle un tsunami allait s’abattre sur le pays. Son compte avait été piraté et les usurpateurs diffusaient de fausses alertes (source: Graham Cluley).



En janvier 2011, les usagers de Twitter ont déclenché une alerte majeure à la sécurité à Londres en faisant circuler la nouvelle selon laquelle un homme armé tirait des coups de feu sur Oxford Street. La nouvelle était fausse : il s’agissait d’une manœuvre policière qui a été mal interprétée (sources : Mark Prigg et Justin Davenport; Andrew Hough et Kerry Cunningham).

À la même époque, le membre du Congrès américain Gabrielle Giffords a reçu une balle dans la tête à Tucson (Arizona). La nouvelle de sa mort circule comme une traînée de poudre sur Twitter. Elle est tweetée par l’agence Reuter et retweetée par NPR News et BBC News. La dame a été opérée et se porte bien aujourd’hui, merci  (source : Steve Safran et AFP).

Ces fausses nouvelles (mentionnées dans un diaporama de Greg Marra) ont circulé rapidement. Elles ont été invalidées peu après leur publication. Mais dans le délai, des membres de la twittersphère les ont vécues comme réelles.

Selon Serge Proulx, la réalité virtuelle transforme le rapport à la vérité. En effet, les objets qu’elle met en scène transcendent la simple représentation et deviennent vrais, dans la mesure ils sont expérimentés par les sujets (source : Communautés virtuelles). Les usagers illusionnés de Twitter ont expérimenté la panique, l’angoisse ou l’affliction liée au décès d’une personnalité publique. Cette expérience est irréversible, qu’elle soit fondée sur une information vraie ou fausse.   

La circulation de fausses nouvelles n’est pas un phénomène récent (voir les exemples extrêmes que sont l’Opération Fortitude et les Protocoles des Sages de Sion), mais ils prennent une toute autre dimension grâce aux outils du web social et à la propagation virale.

(source: Influenza-H5N1.org)
Dans un premier temps, la propagation virale accélère la circulation des canulars, de sorte qu’un nombre important de personnes auront été bernées avant que ceux-ci aient été invalidés. En contrepartie, l’invalidation du canular risque de ne pas rejoindre l’ensemble des personnes illusionnées. D’abord parce que la viralité ne se commande pas. Ensuite, parce que la fausse nouvelle peut s’avérer plus attrayante et sensationnaliste que sa démystification, ce qui en fait une moins bonne candidate à une propagation virale (à titre d’exemple, dans un quotidien, une nouvelle inexacte peut faire la une et l’erratum, se trouver en page 65, juste après le courrier du cœur). Enfin, parce que les moteurs de recherche conserveront tout autant les traces du canular que les démonstrations de son imposture et que les secondes ne seront pas nécessairement mieux référencées que les premières, et on sait ce qu’a de crucial le référencement pour la visibilité.


(source: OWNI)
Dans un deuxième temps, si la force du nombre favorise une invalidation rapide des fausses nouvelles grâce aux effets de la vigilance participative, la démultiplication des sources indépendantes d’informateurs sur les blogues et les réseaux sociaux peut conduire, à l’inverse, à un phénomène de crédibilisation tautologique de l’information qui augmente la possibilité qu’un canular passe pour une nouvelle authentique. Dans Critique de la communication, Lucien Sfez décrit la tautologie par cette formule : « je répète donc je prouve ». Ainsi, une nouvelle est lancée par un usager X qui la transmet à son graphe social. Chacun des éléments du graphe transmet la nouvelle à son propre graphe, puis la visibilité de celle-ci grossit au point d’attirer l’attention d’un média institué, source de confiance. Tous les autres médias qui relaieront ensuite la nouvelle croiront alors avoir une nouvelle crédible entre les mains (sur la différence entre confiance et crédibilité : INF 6107).     

Quelle serait la principale conséquence de la multiplication des canulars dans le cadre du web social? L’expérimentation d’une succession de réalités alternatives (sur l'expérimentation de l'actualité, voir Jean-Louis Weissberg), de réalités en puissance mais non physiquement advenus, donc, de réalités virtuelles (source : Proulx et Latzko-Toth). Et si l’on en croit les propositions des tenants de la construction de la réalité sociale en communication, les fausses nouvelles pourraient s’avérer aussi réelles que les nouvelles que nous considérons comme vraies (source : Danielle Charron, p. 39-42).

Le Post: un média hybride


Dans son billet Le journaliste-réseau, Martin Lessard cite le média en ligne Le Post comme le représentant d’une nouvelle forme de journalisme où les journalistes deviennent des «producteur(s) de nouvelles, (des) agrégateurs et (des) organisateurs de communauté ». Cependant, en étudiant le fonctionnement de ce journal, on constate qu’il constitue un hybride : à la fois média traditionnel et fruit du web social.
(source: LePost)


Comment fonctionne Le Post

Le Post, fondé en 2007, est un journal en ligne participatif qui publie de l’information, des témoignages et des opinions sous forme écrite, vidéo, photographique, de diaporamas ou de sondages. Les billets proviennent de quatre sources :
·  la rédaction;
· les posteurs;
· les invités;
· les groupes;

La rédaction fixe la ligne éditoriale et rédige des articles. Elle sélectionne les billets soumis par les posteurs, s’assure de la véracité des informations qu’ils contiennent et les met en page sur le site.  

Pour être un posteur, il suffit de s’inscrire au site (l’adhésion est gratuite) et de publier des billets qui respectent les conditions d’utilisation du site et sa charte, dont voici les principales limitations :   
        ·      Le trollisme et le spamming;
·         La pornographie, la pédophilie, la zoophilie;
·       L'humour, les injures, les propos ou les contenus obscènes, révisionnistes, incitant à la haine ou à la violence, à caractère sexiste, homophobe, raciste ou dégradant envers la religion ou ses pratiquants;
·         La propagande et le prosélytisme (commercial, politique, religieux, etc.);
·         Le non-respect des droits d’auteur et la contrefaçon des marques déposées;
·         La diffamation, les atteintes à la vie privée et les attaques personnelles;


Les invités, quant à eux, sont de deux ordres : les posteurs dont les billets ont été sélectionnés par la rédaction en raison de leur originalité et de leur qualité et les rédacteurs issus d’autres médias.  

Les groupes, enfin, sont créés par les posteurs et tiennent lieu de communautés d’intérêt. Les billets peuvent être publiés sous le nom du groupe plutôt que d’un individu.

Les billets publiés sur la une sont choisis par la rédaction. Les posteurs inscrits y voient également apparaître les billets de leurs posteurs favoris. D’autres pages offrent des arrangements différents. Il est possible de consulter la totalité des billets soumis par les posteurs, sans aucun tri, triés par étiquette, par posteur ou selon leur popularité. Une section contient également les billets dont la véracité de l’information a été effectuée par la rédaction.

L’intérêt de ce média vient, comme je l’ai mentionné, de sont caractère hybride. Il conjugue des caractéristiques propres au web social et au filtrage collaboratif, ainsi que d’autres qui sont propres aux médias traditionnels.

En quoi Le Post constitue un média traditionnel 
(source: Hublots)
Premièrement, Le Post offre une page en une et se divise en rubriques : politique, faits divers, etc. Deuxièmement, il remplit des fonctions typiques du journalisme professionnel : d’une part, la rédaction opère une validation et un recoupage des informations diffusées par les posteurs et, d’autre part, il sélectionne les billets et en rédige en suivant une ligne éditoriale prédéterminée et en appliquant à sa sélection des critères qualitatifs (qualité, originalité). Il occupe donc une fonction de garde-barrière en décidant de ce qui est digne ou non d’intérêt pour les lecteurs et en mettant de l'avant les billets qu'il a retenus. Troisièmement, il assume la présentation visuelle et la mise en page du site.  



En quoi Le Post constitue un média représentatif du web social 

(source: Le crieur public)

Le Post est également représentatif du web social. En premier lieu, le lecteur est à la fois consommateur et producteur de nouvelles, en adéquation avec l’esprit du web participatif. En second lieu, s’il sélectionne des contenus et en délaisse d’autres, il permet néanmoins un accès à tout ce les posteurs publient. Il fait office de filtre en ponctuant les billets méritants plutôt qu’en éliminant les moins estimables. En troisième lieu, il permet à ses posteurs de créer une page personnalisable et des groupes qui favorisent la formation de communautés d’intérêt. En dernier lieu, il ouvre la porte au filtrage collaboratif. Les lecteurs ont donc eux aussi l’opportunité de mettre en valeur leurs billets ou leurs auteurs préférés, soit par le biais de la liste des favoris, soit en les suivant à partir de leur page personnelle. Ils contribuent également au classement des billets par l’apposition d’étiquettes et peuvent lire des contributeurs avec lesquels ils partagent les mêmes champs d’intérêt.





mercredi 16 novembre 2011

Réplique à : Les illusions de la gamification, de Yann Leroux


http://www.avantgame.com/bio.htm
Dans son billet Les illusions de la gamification, Yann Leroux critique les propositions avancées par Jane McGonigal, lors d’une conférence donnée au TED en 2010. Celle-ci veut rendre le monde réel plus proche du jeu et cherche des moyens pour régler les problèmes que rencontre l’humanité dans la vie réelle (pénurie de pétrole, crises alimentaires, etc.) par l’utilisation des jeux vidéo, des jeux à réalité alternée et des MMOG, notamment (source : TED et You Found Me).
Pour illustrer le projet de la conceptrice de jeux vidéo, Yann Leroux fait la comparaison suivante : « Le point de vue de Jane McGonigal est exactement celui de l’ingénieur qui observe la beauté des chutes du Niagara et qui rêve d’installer une centrale hydroélectrique. » La figure de style est malhonnête. Les centrales défigurent les paysages et détruisent des écosystèmes. Créer des jeux dont il ressort des bienfaits, une production concrète ou des suggestions de solutions à des problèmes réels ne modifie pas la finalité du jeu. C’est plutôt la manière dont l’énergie que les joueurs dépensent est canalisée pour la rendre socialement utile qui est en cause. La nature des règles et les objectifs du jeu sont modifiés, mais la gratuité inhérente au jeu demeure inchangée. L’intérêt, dans cette nouvelle façon de jouer, est qu’elle s’accompagne d’une plus-value dont chacun peut retirer les bénéfices.
La comparaison de Yann Leroux fait passer la proposition de McGonigal pour un avatar de la raison instrumentale là où un véritable projet de société nous est présenté, dans lequel les joueurs peuvent mettre leur virtuosité au service du bien commun et se sentir, autre forme de plus-value, socialement (re)qualifié.
Leroux écrit également : « S’entendre dire que farmer les Terres de feu est une façon de contribuer à une meilleure marche du monde que peut qu’être plaisant (sic). » Cette répartie ironique appelle un éclaircissement: le « farming » consiste à accumuler de l'argent, des objets ou de l'expérience dans les mondes virtuels (dans le MMORPG World of Warcraft, par exemple) en répétant constamment les mêmes tâches. Une économie réelle découle du farming, en particulier en Chine (source : Abel Segretin). En clair, c’est l’antithèse de l’activité ludique. On délaisse la gratuité du jeu, son essence, pour générer des profits. Ladite répartie est spécieuse, car McGonigal n'emploie pas les jeux vidéo existants; elle tente plutôt d'en développer de nouveaux types, spécialement adaptés à son projet. De plus, le farming est une activité individuelle et égoïste, alors que les jeux tels qu’elle les envisage nécessitent la collaboration d’une multitude de joueurs et produisent des retombées positives pour la collectivité.
Plus loin dans son billet, Yann Leroux remet en question la pertinence des propositions de McGonigal en avançant plusieurs arguments :
a) Premier argument : le jeu vidéo revêt des conséquences minimes pour les joueurs (« Jouer à être aux commandes d’un F-14 Tomcat et larguer des bombes sur un objectif en criant “Bombs away” est sans conséquences. Etre aux commandes d’un drone qui affichera à peu près le même écran est tout à fait autre chose »).
Les jeux développés jusqu’ici par McGonigal (voir la description de A World Without Oil, dans mon billet De quel avenir le jeu est-il porteur?) permettent aux joueurs de simuler une situation problématique et de s’y adapter en trouvant des solutions concrètes, lesquelles pourront être appliquées dans des situations réelles par la suite. Or, la simulation s'accompagne précisément de conséquences minimes. Celui qui s’y adonne peut alors s’aguerrir tout en étant épargné par les dangers d’une situation réelle.

De plus, je ne crois pas que McGonigal ait eu à l’esprit de résoudre le problème de la faim dans le monde à coups de bombes.
Leroux souligne que dans le monde réel, on ne peut changer de jeu (« Chaque individu, chaque société est pleinement dans le jeu social et ne peut en sortir »). Encore une fois, les jeux de McGonigal sont des simulations. Rien n’empêche les joueurs de se retirer. C’est la puissance du nombre et la synergie des intelligences en interaction qui font l’efficacité du jeu, pas la participation continue d’individus indispensables qui seraient impliqués du début à la fin d’une partie (à titre d’exemple, la mort d’un neurone ne rend pas une fonction cérébrale inopérationnelle). Aucun joueur n’a donc besoin d'être enchaîné à sa console.
Qui plus est, nous sommes constamment à la recherche de moyens de nous adapter à des situations problématiques dans le cadre de notre existence réelle. Cela ne signifie pas que chaque solution que nous envisageons sera mortellement sanctionnée par notre environnement. Les jeux de Jane McGonigal peuvent avoir des répercussions dans la réalité sans forcément qu'il y en ait sur les joueurs.
b) Second argument : « les pratiques engagées dans les jeux vidéo sont égoistes (sic) et ne permettent pas de bâtir une société ».
L’égoïsme n’est pas foncièrement un obstacle aux réalisations collectives. Le partage des fichiers pair-à-pair sur e-mule est un bon exemple d’égoïsme collectivement payant. Pour qu’un usager accède rapidement à des contenus, il doit en effet permettre un accès rapide aux siens. Même s’il refuse de mettre à disposition ses fichiers, il partagera néanmoins celui qu’il est en train de télécharger et ce, tout au long du téléchargement. Ajoutons qu’un grand nombre de motivations personnelles peut être socialement utile, pourvu que celles-si soient adéquatement canalisées. L’appât du gain motive le voleur, mais aussi l’ouvrier qualifié, sans qui les infrastructures publiques seraient inexistantes. 
Ensuite, si les jeux vidéo ne sont pas faits pour bâtir une société, rien n’empêche néanmoins les joueurs de tester virtuellement des formes alternatives de gouvernance ou d’édifier des sociétés conformes à leurs convictions. À terme, cela pourrait conduire à l'érection d'une nouvelle forme de gouvernance ou à de nouveaux modes de vivre-ensemble.
c) Troisième argument : les jeux vidéo subissent l’influence d’idéologies. Yann Leroux écrit : « Comment les jeux vidéo si en phase avec les idéologies du moment pourraient porter ne serait-ce qu’un début de révolution ? ».
(source: Spacescarab)

Il n’est pas dans mon intention de remettre en cause l'existence de biais dans les médias (jeux vidéo y compris). Ceci dit, la défense du statu quo et les velléités commerciales des producteurs de jeux vidéo ne sont pas une fatalité. Comme il existe des médias alternatifs - trop peu, je le concède -, il est également possible de créer des jeux vidéo présentant des points de vue dissidents, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, il est des jeux qui font la promotion de l’anti-islamisme ou de l’antisionisme (lire, à ce sujet, Muslim Massacre, le jeu vidéo politique inabouti, d’Olivier Mauco) et d’autres, comme les productions du collectif d’artistes Molleindustria, qui suscitent des réflexions sur la société, la consommation, l’aliénation et l’exploitation des travailleurs (source : Molleindustria).  De plus, certains programmeurs altèrent des jeux existants, à l’image de Escape from Woomera, basé sur Half-Life et dénonçant les mauvaises conditions de vie des immigrants à leur arrivée en Australie (source : Amélie Paquet).  

d) Enfin, quatrième argument : les problèmes présentés dans les jeux vidéos sont programmés pour être surmontés par les joueurs, pour peu qu’ils y mettent le temps requis. Les solutions à ces problèmes ont été prévues par le concepteur et sont donc prévisibles, alors que dans la réalité, les héros ont du œuvrer dans l’impensé.  

(source: Evoke)
A World Without Oil, le jeu en réalité alternée conçu en partie par McGonigal, est l’antithèse d’un jeu figé, aux possibilités prédéterminées, et contredit cet argument. Le jeu simulait une pénurie de pétrole et on demandait aux joueurs qu’ils imaginent et documentent leur vie dans cette situation, puis qu’ils trouvent des solutions pour s’y adapter. Les objectifs du jeu étaient spécifiés, mais sa structure favorisait l’impensé (le jeu de réseau social Evoke fonctionne selon le même principe). 
En terminant...
Rendre le monde réel plus proche du jeu et chercher des moyens pour régler des problèmes de la vie réelle à l’aide des jeux vidéo apparaît comme utopique, voire naïf. Nul ne s’attend en effet à régler tous les maux de l’humanité de la sorte. Cependant, les projets de Jane McGonigal ont obtenu des résultats prometteurs. De plus, l’extension et la banalisation progressives de la culture participative pourrait constituer un excellent terreau pour accueillir des initiatives qui vont dans le sens de la proposition de la conceptrice de jeux.
Pour convaincre ses contemporains que croire en Dieu était chose sensée, Pascal a écrit : « Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter » (Les Pensées). Le pari de McGonigal est du même ordre : faible mise, donc faibles pertes à envisager, mais espérance de gain énorme.

Voici quelques jeux vidéo alternatifs :  
Et un article éclairant sur les jeux vidéo d’activisme politique, par Amélie Paquet.
Un autre article est consacré au collectif Molleindustria, dans Neural 
Les jeux conçus par Jane McGonigal sont disponibles ici et vous trouverez un résumé de sa conférence donnée au TED sur le blogue Millenium.

Communauté et réalité virtuelle: le mélange des genres dans le monde de Gor

(source: Basile Segalen)
Dans l’article Communautés virtuelles : ce qui fait lien, Serge Proulx se réfère au sociologue Ferdinand Tönnies pour définir la communauté comme un ensemble de personnes liées émotionnellement et géographiquement. Il définit ensuite la « virtualité », dans un contexte technologique, comme un environnement à la fois social et symbolique qui constitue une simulation du réel. Les communautés virtuelles forment alors des ensembles de personnes unies par des intérêts communs, mais éloignées géographiquement. Proulx distingue la notion de « communauté virtuelle » de celle de « réalité virtuelle », car la communauté virtuelle permet d’établir des échanges réels hors de la coprésence physique, alors que la réalité virtuelle désigne un environnement simulé dans lequel les sujets sont immergés et avec lequel ils interagissent en expérimentant des sensations artificielles. La réalité virtuelle transforme alors le rapport à la vérité, puisque les objets qu’elle contient ne sont pas simplement des représentations, devenant vrais lorsqu’ils sont expérimentés par les sujets. Le chercheur ajoute que les deux notions présentées ne sont pas incompatibles, car elles président aux jeux collectifs tels que les MUD et les MOO, qui estompent la frontière entre réel et virtuel.

La combinaison entre communauté et réalité virtuelles se retrouve également dans le cadre des MUVE (Multi-User Virtual Environments) et des MMOG (Massively Multiplayer Online Game), leurs descendants directs. Le cas spécifique de la communauté goréenne de Second Life illustrera la complexité qui ressort de cette combinaison.


La communauté goréenne de Second Life

(Second Life Gorean Community)

La communauté goréenne est composée de joueurs qui ont en commun leur passion pour les Chroniques de Gor, romans de science-fiction écrits par John Norman. Ces romans sont fortement teintés de machisme et de sadomasochisme et  se déroulent dans un monde structuré autour de l’esclavage et de la barbarie (source : H+ Magazine). Il s’agit donc d’une communauté d’intérêt.



Les membres d’une communauté sont liés de quatre façons : ils partagent certaines caractéristiques communes, ils se conforment au comportement qu’il est attendu d’eux, ils respectent les règles internes de la communauté et leur identité est partiellement déterminée par leur appartenance à celle-ci (source : INF 6107). Voyons comment ces liens s’appliquent à la communauté goréenne (nos observations reposent sur l’article The Gorean Community in Second Life: Rules of Sexual Inspired Role-Play, de Tjarda Sixma) :

(source: Elle's world)

Caractéristiques : les membres de la communauté goréenne adhèrent à la philosophie de Norman et la connaissance de son œuvre est un pré-requis. Les avatars, quant à eux, sont soumis à un ensemble de traits sociaux précis (division en castes, par exemple). La distinction entre membres et non-membres s’accompagne également d’une division physique : un mur invisible sépare les Goréens des autres avatars de Second Life.

Comportements : les joueurs ne peuvent communiquer qu’en conformité avec leur personnage. Aussi, les discussions hors-personnages (entre les usagers de Second Life), les comportements déplacés de la part des joueurs ou l’emploi d’expressions propre au « tchat » (« LOL », par exemple) sont désapprouvés (source : Tjarda Sixma). Il s’agit, d’une part, de protéger la vraisemblance du jeu de rôle et de réguler les comportements des joueurs. Les comportements des avatars, quant à eux, dépendent des us et coutumes attendues des habitants de la planète fictive de Gor.  

Règles internes: celles-ci sont nombreuses et changent d’une ville à l’autre. La ville de Veroda, par exemple, lie ses citoyens par une charte rédigée par les propriétaires du SIM (l’environnement 3-D qui représente la ville en question, créée et gérée dans le cadre de Second Life). Des règles régissent la résolution de conflits entre les joueurs, d’autres sont propres à chacune des castes du monde de Gor et d’autres encore concernent l’ensemble de ses habitants. Ces dernières s’accompagnent de peines, advenant leur non-respect (châtiments corporels, peine de mort, etc.).


Identité : Un sentiment d’adhésion à la culture et à la philosophie goréennes des joueurs, ainsi qu’une passion commune pour l’œuvre de Norman définit l’identité de ceux-ci. C’est en ce sens que la communauté goréenne est une communauté d’intérêt. Les degrés d’identification et d’adhésion sont néanmoins variables d’un membre à l’autre et président à la création de sous-communautés. Cette variabilité se rapporte à deux continuums. Le premier est lié à l’implication du joueur dans son avatar. Il va du joueur pur et dur (« lifestyler »), qui tend à ne pas opérer de distinction entre lui et son personnage, au simple rôliste (« role-player »), qui joue un rôle distinct de sa personne. Le second continuum concerne le degré de fidélité des lecteurs par rapport à l’œuvre de John Norman. D’un côté se trouvent les puristes, qui n’acceptent pas l’incarnation de personnages non tirés des romans des Chroniques de Gor. De l’autre côté se trouvent les « Disney Gor » (terme péjoratif employé par les puristes), soit les joueurs qui prennent certaines libertés vis-à-vis de l’œuvre.


L'interpénétration de la communauté, de la communauté d'intérêt et de la réalité virtuelle

               ( *Gorean Landscape in Second Life* ) 

Si l’on revient à la combinaison entre la communauté et la réalité virtuelles, on constate d’abord que la communauté goréenne n’est d’« intérêt » qu’au niveau des joueurs. D’un point de vue fictionnel, par contre, les personnages forment des communautés au sens strict définit par Ferdinand Tönnies. En effet, elles sont ancrées géographiquement et revêtent une dimension émotive importante : érotisme, haine entre les clans et entre les villes, mépris ou attirance pour les membres des autres castes, soumission envers le maître, sentiment de puissance envers l’esclave, etc.

C’est par l’émotion et principalement par l’érotisme qu’il est possible de parler de réalité virtuelle au sein de la communauté goréenne, puisque les joueurs éprouvent, à travers leur avatar - une entité virtuelle - des émotions et des sensations érotiques réelles, concrètes. Les joueurs vivent donc dans une communauté au sens traditionnel par leur incarnation dans un corps numérique. 

Pour en savoir plus sur les Goréens: