lundi 21 novembre 2011

Les blogueurs du XVIIIe siècle

(source: Patrimoine canadien)

L’avènement du phénomène des blogues revêt certaines similarités avec l’évolution du journalisme au XVIIIe siècle, au point où il m’apparaît pertinent de dresser un parallèle entre le journaliste d’antan et le blogueur contemporain.







1) Indépendance et transparence
Le siècle des Lumières a vu naître de nouveaux journalistes qui affichaient leur indépendance vis-à-vis du pouvoir monarchique et créaient leur propre sphère d’influence, sans crainte d’afficher ouvertement leurs opinions. Ils se distinguaient des journaux « d’information-célébration » tels que la Gazette de Paris, trop près du pouvoir monarchique et tendancieusement informatifs. Les nouveaux journalistes se voulaient les porte-étendards de la vérité et de la justice auprès des citoyens (source : Gilles Feyel) et, tout comme les blogueurs, ils assumaient explicitement la responsabilité éditoriale de leurs écrits (source : Alain Nabarra).

Aujourd‘hui, c’est par rapport à une presse placée sous la tutelle du pouvoir économique qu’un nouveau journalisme doit se constituer, au nom de la qualité de l’information qui, sinon, ne saurait échapper à la complaisance du journalisme info-publicitaire. Les blogues apparaissent ici comme une alternative. Pour Ignacio Ramonet, l’engouement des blogues  « montre que beaucoup de lecteurs préfèrent la subjectivité et la partialité assumées des bloggers à la fausse objectivité et à l’impartialité hypocrite d’une certaine presse » (source : Médias en crise - De la qualité de l’information dépend celle du débat citoyen).  

Le journaliste des Lumières adoptait déjà, tout comme le blogueur actuel, un pacte de transparence avec son lecteur, car s’il tendait à la neutralité et à l’impartialité, il était néanmoins conscient que le fait de véhiculer de l’information participe à un art de présentation et de persuasion. Pour composer avec ce dilemme, il mettait à nu le procès d’écriture et se représentait à son lecteur en train de l’informer. Il n’hésitait pas non plus à séparer ce qui relevait de son opinion des nouvelles qu’il relatait. Enfin, il mettait l’emphase sur la situation expérimentée et donnait la parole à ceux qui vivaient la nouvelle en la livrant dans des récits vivants, qui en rendaient l’émotivité et l’instantanéité. Il informait alors le lecteur sur l’événement et le lui reconstituait (source : Alain Nabarra).


2) Hypertextualité et retransmission de documents bruts

(source: Cuisine à la française)
De la même manière que les blogues constituent, grâce aux hyperliens, une forme de veille de l’actualité, une revue du web, et qu’ils redirigent leurs lecteurs vers d’autres textes, le journal du XVIIIe siècle offrait aussi à ses lecteurs, à côté des prises de positions des narrateurs-journalistes, un florilège de documents bruts, souvent reproduits tels quels (lettres officielles,  commerciales ou de particuliers, extraits d’articles tirés d’autres journaux, etc.) (sources : Benoît Raphaël; Alain Nabarra).


3) Blogueur et journaliste: la recherche de la légitimité 

Il existe un débat à propos des blogueurs, à savoir s’ils sont ou non des journalistes. L’avocat Jacob Delebecque définit sur son blogue les critères selon lesquels un rédacteur peut revendiquer la qualité de journaliste : cette occupation doit constituer sa principale source de revenus, lesquels doivent lui être versées par une ou des publications périodiques, agences de presse et/ou entreprise de communication. Cela exclut les rédacteurs auto-publiés, mais inclut quelques blogueurs travaillant pour des médias institués. Selon cette définition, le journaliste du XVIIIe siècle n’en était donc pas un. Il faudrait alors exclure de leur profession tous les journalistes-imprimeurs, auto-publicateurs de leurs œuvres, parmi lesquels on retrouve Benjamin Franklin, Fleury Mesplets et Thomas Gilmore (ces deux derniers constituant les tout premiers journalistes du Québec), mais aussi les journalistes de la Révolution française qui vivaient non pas de leur plume, mais d’une profession libérale, tel Camille Desmoulin,  ou d’une rente, en raison de leur statut aristocratique, à l’image de Mirabeau.

Le débat sur le statut des blogueurs au regard de l’information et des médias traditionnels doit être replacé dans le contexte plus large d’une lutte entre les acteurs du champ des médias pour la définition de ce que sont une information et un rédacteur de nouvelles légitimes (voir la théorie des champs de Pierre Bourdieu). Dans ce champ, les journalistes professionnels tenaient, si l’on se fie à la définition de Jacob Delebecque, le haut du pavé, mais aujourd’hui, les médias traditionnels sont en crise : la confiance du public à leur égard s’amenuise et « le vécu subjectif de l’événement serait plus crédible qu’une impossible objectivité » (source : Sébastien Paquet). Une perte de crédibilité qui sert les artisans de la blogosphère et qui fait d’eux de nouvelles autorités cognitives.  
Encore une fois, la situation est analogue à celle que connaissaient les journalistes du XVIIIe siècles, qui ont du se distinguer des autres membres de l’institution littéraire et asseoir leur légitimité alors que les journaux étaient considérés comme « la pâture des ignorants, la ressource de ceux qui veulent parler et juger sans lire, et le fléau et le dégoût de ceux qui travaillent » (Montesquieu, Les Lettres persanes).

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