jeudi 17 novembre 2011

Canulars et viralité: la grippe du canard

(source: Hamarkada)

Andi Arief, conseiller en gestion des désastres naturels du président de l’Indonésie, a tweeté à ses « followers », en novembre 2010, la nouvelle selon laquelle un tsunami allait s’abattre sur le pays. Son compte avait été piraté et les usurpateurs diffusaient de fausses alertes (source: Graham Cluley).



En janvier 2011, les usagers de Twitter ont déclenché une alerte majeure à la sécurité à Londres en faisant circuler la nouvelle selon laquelle un homme armé tirait des coups de feu sur Oxford Street. La nouvelle était fausse : il s’agissait d’une manœuvre policière qui a été mal interprétée (sources : Mark Prigg et Justin Davenport; Andrew Hough et Kerry Cunningham).

À la même époque, le membre du Congrès américain Gabrielle Giffords a reçu une balle dans la tête à Tucson (Arizona). La nouvelle de sa mort circule comme une traînée de poudre sur Twitter. Elle est tweetée par l’agence Reuter et retweetée par NPR News et BBC News. La dame a été opérée et se porte bien aujourd’hui, merci  (source : Steve Safran et AFP).

Ces fausses nouvelles (mentionnées dans un diaporama de Greg Marra) ont circulé rapidement. Elles ont été invalidées peu après leur publication. Mais dans le délai, des membres de la twittersphère les ont vécues comme réelles.

Selon Serge Proulx, la réalité virtuelle transforme le rapport à la vérité. En effet, les objets qu’elle met en scène transcendent la simple représentation et deviennent vrais, dans la mesure ils sont expérimentés par les sujets (source : Communautés virtuelles). Les usagers illusionnés de Twitter ont expérimenté la panique, l’angoisse ou l’affliction liée au décès d’une personnalité publique. Cette expérience est irréversible, qu’elle soit fondée sur une information vraie ou fausse.   

La circulation de fausses nouvelles n’est pas un phénomène récent (voir les exemples extrêmes que sont l’Opération Fortitude et les Protocoles des Sages de Sion), mais ils prennent une toute autre dimension grâce aux outils du web social et à la propagation virale.

(source: Influenza-H5N1.org)
Dans un premier temps, la propagation virale accélère la circulation des canulars, de sorte qu’un nombre important de personnes auront été bernées avant que ceux-ci aient été invalidés. En contrepartie, l’invalidation du canular risque de ne pas rejoindre l’ensemble des personnes illusionnées. D’abord parce que la viralité ne se commande pas. Ensuite, parce que la fausse nouvelle peut s’avérer plus attrayante et sensationnaliste que sa démystification, ce qui en fait une moins bonne candidate à une propagation virale (à titre d’exemple, dans un quotidien, une nouvelle inexacte peut faire la une et l’erratum, se trouver en page 65, juste après le courrier du cœur). Enfin, parce que les moteurs de recherche conserveront tout autant les traces du canular que les démonstrations de son imposture et que les secondes ne seront pas nécessairement mieux référencées que les premières, et on sait ce qu’a de crucial le référencement pour la visibilité.


(source: OWNI)
Dans un deuxième temps, si la force du nombre favorise une invalidation rapide des fausses nouvelles grâce aux effets de la vigilance participative, la démultiplication des sources indépendantes d’informateurs sur les blogues et les réseaux sociaux peut conduire, à l’inverse, à un phénomène de crédibilisation tautologique de l’information qui augmente la possibilité qu’un canular passe pour une nouvelle authentique. Dans Critique de la communication, Lucien Sfez décrit la tautologie par cette formule : « je répète donc je prouve ». Ainsi, une nouvelle est lancée par un usager X qui la transmet à son graphe social. Chacun des éléments du graphe transmet la nouvelle à son propre graphe, puis la visibilité de celle-ci grossit au point d’attirer l’attention d’un média institué, source de confiance. Tous les autres médias qui relaieront ensuite la nouvelle croiront alors avoir une nouvelle crédible entre les mains (sur la différence entre confiance et crédibilité : INF 6107).     

Quelle serait la principale conséquence de la multiplication des canulars dans le cadre du web social? L’expérimentation d’une succession de réalités alternatives (sur l'expérimentation de l'actualité, voir Jean-Louis Weissberg), de réalités en puissance mais non physiquement advenus, donc, de réalités virtuelles (source : Proulx et Latzko-Toth). Et si l’on en croit les propositions des tenants de la construction de la réalité sociale en communication, les fausses nouvelles pourraient s’avérer aussi réelles que les nouvelles que nous considérons comme vraies (source : Danielle Charron, p. 39-42).

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