Dans son billet Web
2.0 - Responsabilité Éditoriale, Éric Daviau nous rappelle judicieusement
que si le blogueur doit rendre des comptes pour l’entièreté de ses propos, les
journalistes, eux, ne sont que partiellement imputables de leurs écrits, en
raison du fait que la responsabilité éditoriale relève du média qui les publie
et non de l’auteur. On constate néanmoins que la blogosphère influence l’activité
journalistique et que la « bloguisation » des médias d’information
pourrait amener les journalistes à réviser leur éthique de travail.
Quelle est l’ampleur de la « bloguisation » ? Tout d’abord,
une enquête du groupe de communication stratégique américain Brodeur indique
que les blogues influencent le travail des journalistes en termes de réactivité
et de rapidité. Ils apportent également de nouvelles idées et de nouvelles
manières de les traiter (source : AFP-Mediawatch).
Par ailleurs, les blogues auraient initié une nouvelle forme de journalisme, le
« data journalisme », qui prend la forme d’articles agrémentés de
contenus multimédias (vidéos, diaporamas, graphiques, etc.) (source: Press
Index). Ajoutons que depuis 2007, de nombreux journaux importants
se sont mis à publier des blogues tenus par leurs journalistes. Enfin, la
blogosphère influence les médias en attirant l’attention sur des sujets à
aborder (source : INF 6107, sections 3.3.3
et 4.5.1).
À ces modes de « bloguisation », j’ajouterai :
l’incitation à la responsabilité et à la rigueur. Dans leur version en ligne, les médias écrits
traditionnels accompagnent de plus en plus leurs articles de tribunes qui sont destinées
à recevoir les commentaires des lecteurs. C’est le
cas de La Zone Nouvelles de RADIO-CANADA.CA et des journaux Le Devoir, Libération, Le Monde et The New York
Times. Ces espaces surfent sur la vague du web participatif. De manière
collatérale, ils favorisent également un rappel à l’ordre des journalistes par
les commentateurs, lesquels n’hésitent pas à corriger leurs erreurs, ainsi qu’à
critiquer leurs imprécisions et les propos tendancieux qu’ils tiennent sous le
couvert de l’objectivité.
Ces
rappels à l’ordre ont à voir, à mon avis, avec l’influence de la blogosphère. En
effet, la structure des articles, accompagnés de leur tribune, est calquée sur
celle des blogues : le contenu principal est immédiatement suivi des
commentaires des lecteurs et ces derniers sont classés en ordre
antéchronologique et modérés par le responsable éditorial du site (le blogueur
d’un côté, le webmestre du média en ligne de l’autre).
Une telle structure favorise, selon moi,
la participation active des lecteurs au contenu du média et le dialogue entre ceux-ci
et l’auteur. La proximité du journaliste avec son lectorat ne peut que l’inciter
à amender son écriture : sous-peser chaque mot, chaque formulation, voire chaque
élément paratextuel (lorsque c’est dans son contrôle), citer ses sources, bannir
les suppositions, vérifier les faits etc., puisqu’il assiste en
direct à l’autopsie de ses articles par des dizaines, et parfois même des
centaines, de "légistes" de l’information.
Se savoir scruté par tant d’yeux et
recevoir immédiatement les rétroactions de ses lecteurs responsabilise donc le
journaliste, faute de le rendre juridiquement imputable.
L’avènement du phénomène des blogues revêt certaines similarités avec
l’évolution du journalisme au XVIIIe siècle, au point où
il m’apparaît pertinent de dresser un parallèle entre le journaliste d’antan et
le blogueur contemporain.
1) Indépendance et transparence
Le siècle des Lumières a vu naître de
nouveaux journalistes qui affichaient leur indépendance vis-à-vis du pouvoir
monarchique et créaient leur propre sphère d’influence, sans crainte
d’afficher ouvertement leurs opinions. Ils se distinguaient des journaux
« d’information-célébration » tels que la Gazette de Paris, trop près du pouvoir monarchique et
tendancieusement informatifs. Les nouveaux journalistes se voulaient les porte-étendards de la vérité
et de la justice auprès des citoyens (source : Gilles Feyel) et, tout comme les
blogueurs, ils assumaient explicitement la responsabilité éditoriale de leurs
écrits (source : Alain Nabarra).
Aujourd‘hui, c’est par
rapport à une presse placée sous la tutelle du pouvoir économique qu’un nouveau
journalisme doit se constituer, au nom de la qualité de l’information qui,
sinon, ne saurait échapper à la complaisance du journalisme info-publicitaire.
Les blogues apparaissent ici comme une alternative. Pour Ignacio Ramonet, l’engouement des blogues « montre
que beaucoup de lecteurs préfèrent la subjectivité et la partialité assumées
des bloggers à la fausse objectivité et à l’impartialité hypocrite d’une
certaine presse » (source : Médias en crise -
De la qualité de l’information dépend celle du débat citoyen).
Le journaliste des Lumières adoptait déjà, tout comme le blogueur actuel, un pacte de
transparence avec son lecteur, car s’il tendait à la neutralité et à l’impartialité, il était néanmoins
conscient que le fait de véhiculer de l’information participe à un art de
présentation et de persuasion. Pour composer avec ce dilemme, il mettait à nu
le procès d’écriture et se représentait à son lecteur en train de l’informer.
Il n’hésitait pas non plus à séparer ce qui relevait de son opinion des nouvelles
qu’il relatait. Enfin, il mettait l’emphase sur la situation expérimentée et
donnait la parole à ceux qui vivaient la nouvelle en la livrant dans des récits
vivants, qui en rendaient l’émotivité et l’instantanéité. Il informait alors le
lecteur sur l’événement et le lui reconstituait (source : Alain
Nabarra).
2) Hypertextualité et retransmission de documents bruts
De la même manière que les blogues constituent, grâce aux hyperliens, une
forme de veille de l’actualité, une revue du web, et qu’ils redirigent leurs
lecteurs vers d’autres textes, le journal du XVIIIe siècle offrait aussi à ses
lecteurs, à côté des prises de positions des narrateurs-journalistes, un
florilège de documents bruts, souvent reproduits tels quels (lettres
officielles, commerciales ou de
particuliers, extraits d’articles tirés d’autres journaux, etc.) (sources :
Benoît
Raphaël; Alain
Nabarra).
3) Blogueur et journaliste: la recherche de la légitimité
Il existe un débat à propos des
blogueurs, à savoir s’ils sont ou non des journalistes. L’avocat Jacob Delebecque
définit sur son blogue les critères selon lesquels un rédacteur peut
revendiquer la qualité de journaliste : cette occupation doit constituer
sa principale source de revenus, lesquels doivent lui être versées par une ou
des publications
périodiques, agences de presse et/ou entreprise de communication. Cela exclut
les rédacteurs auto-publiés, mais inclut quelques blogueurs travaillant pour
des médias institués. Selon cette définition, le journaliste du XVIIIe siècle
n’en était donc pas un. Il faudrait alors exclure de leur profession tous les
journalistes-imprimeurs, auto-publicateurs de leurs œuvres, parmi lesquels on
retrouve Benjamin Franklin, Fleury Mesplets et Thomas Gilmore (ces
deux derniers constituant les tout premiers journalistes du Québec), mais aussi les journalistes de la
Révolution française qui vivaient non pas de leur plume, mais d’une profession
libérale, tel Camille Desmoulin,ou d’une rente, en raison de leur statut
aristocratique, à l’image de Mirabeau.
Le débat sur le statut des blogueurs au
regard de l’information et des médias traditionnels doit être replacé dans le
contexte plus large d’une lutte entre les acteurs du champ des médias pour la
définition de ce que sont une information et un rédacteur de nouvelles
légitimes (voir la théorie des champs de Pierre Bourdieu). Dans ce champ, les
journalistes professionnels tenaient, si l’on se fie à la définition de Jacob Delebecque, le
haut du pavé, mais aujourd’hui, les médias traditionnels sont en crise :
la confiance du public à leur égard s’amenuise et « le vécu subjectif de l’événement serait plus crédible qu’une
impossible objectivité » (source : Sébastien Paquet).
Une perte de crédibilité qui sert les artisans de la blogosphère et qui fait
d’eux de nouvelles autorités cognitives.
Encore une fois, la situation est analogue à celle
que connaissaient les journalistes du XVIIIe siècles, qui ont du se distinguer des
autres membres de l’institution littéraire et asseoir leur légitimité alors que
les journaux étaient considérés comme « la pâture des ignorants, la ressource
de ceux qui veulent parler et juger sans lire, et le fléau et le dégoût de ceux
qui travaillent » (Montesquieu, Les Lettres persanes).
Voici d’abord une petite rectification que je voudrais
apporter : la communication non-verbale est sans doute un besoin
inné, mais la constitution de sa grammaire, elle, est acquise. Selon RayBirdwhistell (dans La nouvelle communication),
elle entremêle l’individuel et le social. Les personnes y réagissent « comme
d’après un code secret et compliqué, écrit nulle part et connu de personne,
compris par tous » (p. 64). Ce code n’est pas d’ordre organique (inné),
mais artificiel. Il découle des traditions sociales : chaque groupe social
possède donc une grammaire non-verbale qui lui est propre.
Ces considérations m’amènent à la notion d’incorporation,
que la sociologue Sylvia Faure résume comme suit :
Les processus d’incorporation dépendent d’une
assimilation/appropriation des propriétés de relations sociales où des gestes,
des comportements, des manières de parler, de penser et d’agir sont « attrapées
» par les individus socialisés. [Ils reposent]sur
des mécanismes d’identification, d’imitation et de mimétisme se mettant en
œuvre généralement dans une action (en « faisant » des choses) et/ou en
regardant les autres agir. (source : Les cadres sociaux de
l’incorporation).
Les
comportements qui résultent de l’incorporation, ajoute-t-elle, sont modifiés par
chaque individu selon ses expériences passées et en fonction des lieux, des temporalités
et des autres individus.
L’incarnation
d’une personne dans un avatar a ceci de limitatif qu’il est impropre à rendre
la communication non-verbale, vue comme des manifestations extérieures de
l’incorporation. Aussi, si « [l]es
avatars sont des signes, des étendards et des drapeaux de nos différentes
identités », pour reprendre la formule de Yann Leroux, ils ne révèlent rien des
formes de socialisation qui ont contribué toute notre vie à modeler nos
identités.
Les avatars sont des expressions figées de nos
identités qui taisent notre appartenance à des groupes sociaux, à des
catégories professionnelles, à la manière dont notre gestuelle a été sculptée
par le regard d’autrui (par exemple, une personne physiquement attirante se
mouvra avec davantage de confiance et d’aisance qu’une personne disgracieuse). Ils
font également l’impasse sur nos apprentissages corporels (la fluidité qu’apporte
la pratique du ballet ou la rigidité d’une éducation sévère), sur notre âge et sur
l’environnement dans lequel nous avons vécu. Ironiquement, les avatars ne sont pas à
même de refléter adéquatement les modifications de comportements (et, corolairement,
la communication non-verbale qui en est issue) qu’ils engendrent chez les
personnes qui les contrôlent, modifications que Nick Yee appelle l’effet Protée
(voir, à cet effet, l’article The
Proteus Effect: The Effect of Transformed Self-Representation on Behavior, bien résumé dans le billet
d’Alain).
Andi Arief, conseiller en gestion des désastres
naturels du président de l’Indonésie, a tweeté à ses « followers », en
novembre2010, la nouvelle selon
laquelle un tsunami allait s’abattre sur le pays. Son compte avait été piraté
et les usurpateurs diffusaient de fausses alertes (source: Graham
Cluley).
En janvier 2011, les usagers de Twitter ont déclenché une alerte majeure à la
sécurité à Londres en faisant circuler la nouvelle selon laquelle un homme armé
tirait des coups de feu sur Oxford Street. La nouvelle était fausse : il
s’agissait d’une manœuvre policière qui a été mal interprétée (sources : Mark Prigg et Justin Davenport; Andrew
Hough et Kerry Cunningham).
À la même époque, le membre du Congrès américain Gabrielle Giffords a
reçu une balle dans la tête à Tucson (Arizona). La nouvelle de sa mort circule
comme une traînée de poudre sur Twitter.
Elle est tweetée par l’agence Reuter et retweetée par NPR News et BBC News. La
dame a été opérée et se porte bien aujourd’hui, merci (source : Steve
Safran et AFP).
Ces fausses nouvelles
(mentionnées dans un diaporama de Greg
Marra) ont circulé rapidement. Elles ont été invalidées peu après leur publication.
Mais dans le délai, des membres de la twittersphère les ont vécues comme
réelles.
Selon Serge Proulx, la réalité
virtuelle transforme le rapport à la vérité. En effet, les objets qu’elle met
en scène transcendent la simple représentation et deviennent vrais, dans la
mesure où ils sont expérimentés
par les sujets (source : Communautés
virtuelles). Les usagers illusionnés de Twitter
ont expérimenté la panique, l’angoisse ou l’affliction liée au décès d’une
personnalité publique. Cette expérience est irréversible, qu’elle soit fondée
sur une information vraie ou fausse.
La circulation de fausses
nouvelles n’est pas un phénomène récent (voir les exemples extrêmes que sont l’Opération
Fortitude et les Protocoles des
Sages de Sion), mais ils prennent une toute autre dimension grâce aux
outils du web social et à la propagation virale.
Dans un premier temps, la propagation
virale accélère la circulation des canulars, de sorte qu’un nombre important
de personnes auront été bernées avant que ceux-ci aient été invalidés. En
contrepartie, l’invalidation du canular risque de ne pas rejoindre l’ensemble
des personnes illusionnées. D’abord parce que la viralité ne se commande pas.
Ensuite, parce que la fausse nouvelle peut s’avérer plus attrayante et
sensationnaliste que sa démystification, ce qui en fait une moins bonne
candidate à une propagation virale (à titre d’exemple, dans un quotidien, une
nouvelle inexacte peut faire la une et l’erratum, se trouver en page 65, juste
après le courrier du cœur). Enfin, parce que les moteurs de recherche
conserveront tout autant les traces du canular que les démonstrations de son
imposture et que les secondes ne seront pas nécessairement mieux référencées
que les premières, et on sait ce qu’a de crucial le référencement pour la
visibilité.
Dans
un deuxième temps, si la force du nombre favorise une invalidation rapide des
fausses nouvelles grâce aux effets de la vigilance
participative, la démultiplication des sources indépendantes d’informateurs
sur les blogues et les réseaux sociaux peut conduire, à l’inverse, à un
phénomène de crédibilisation tautologique de l’information qui augmente la possibilité
qu’un canular passe pour une nouvelle authentique. Dans Critique
de la communication, Lucien Sfez décrit la tautologie par cette
formule : « je répète donc je prouve ». Ainsi, une nouvelle est
lancée par un usager X qui la transmet à son graphe social. Chacun des éléments
du graphe transmet la nouvelle à son propre graphe, puis la visibilité de celle-ci grossit au
point d’attirer l’attention d’un média institué, source de confiance. Tous les
autres médias qui relaieront ensuite la nouvelle croiront alors avoir une
nouvelle crédible entre les mains (sur la différence entre confiance et
crédibilité : INF
6107).
Quelle serait la principale conséquence de la
multiplication des canulars dans le cadre du web social? L’expérimentation d’une
succession de réalités alternatives (sur l'expérimentation de l'actualité, voir Jean-Louis Weissberg), de réalités en puissance mais non
physiquement advenus, donc, de réalités virtuelles (source : Proulx
et Latzko-Toth). Et si l’on
en croit les propositions des tenants de la construction de la réalité sociale
en communication, les fausses nouvelles pourraient s’avérer aussi réelles que
les nouvelles que nous considérons comme vraies (source : Danielle
Charron, p. 39-42).
Dans
son billet Le
journaliste-réseau, Martin
Lessard cite le média en ligne Le Post comme
le représentant d’une nouvelle forme de journalisme où les journalistes deviennent des «producteur(s)
de nouvelles, (des) agrégateurs et (des) organisateurs de communauté ». Cependant,
en étudiant le fonctionnement de ce journal, on constate qu’il constitue un
hybride : à la fois média traditionnel et fruit du web social.
Le Post, fondé
en 2007, est un journal en ligne participatif qui publie de l’information, des
témoignages et des opinions sous forme écrite, vidéo, photographique, de
diaporamas ou de sondages. Les billets proviennent de quatre sources :
· la rédaction;
·les posteurs;
·les invités;
·les groupes;
La rédaction fixe la ligne éditoriale et rédige des articles. Elle sélectionne les billets
soumis par les posteurs, s’assure de la véracité des informations qu’ils
contiennent et les met en page sur le site. Pour être un posteur, il suffit de s’inscrire au site (l’adhésion est gratuite) et de publier des billets qui respectent les conditions d’utilisation du site et sa charte,
dont voici les principales limitations :
·L'humour, les injures, les propos ou les
contenus obscènes, révisionnistes, incitant à la haine ou à la violence, à
caractère sexiste, homophobe, raciste ou dégradant envers la religion ou ses
pratiquants;
·La propagande et le prosélytisme (commercial,
politique, religieux, etc.);
·Le non-respect des droits d’auteur et la contrefaçon
des marques déposées;
·La diffamation, les atteintes à la vie privée et
les attaques personnelles;
Les invités, quant à eux, sont de deux ordres : les posteurs dont
les billets ont été sélectionnés par la rédaction en raison de leur originalité
et de leur qualité et les rédacteurs issus d’autres médias.
Les groupes, enfin, sont créés par les
posteurs et tiennent lieu de communautés d’intérêt. Les billets peuvent être
publiés sous le nom du groupe plutôt que d’un individu.
Les
billets publiés sur la une sont choisis par la rédaction. Les posteurs inscrits
y voient également apparaître les billets de leurs posteurs favoris. D’autres
pages offrent des arrangements différents. Il est possible de consulter la
totalité des billets soumis par les posteurs, sans aucun tri, triés par
étiquette, par posteur ou selon leur popularité. Une section contient également
les billets dont la véracité de l’information a été effectuée par la rédaction.
L’intérêt
de ce média vient, comme je l’ai mentionné, de sont caractère hybride. Il
conjugue des caractéristiques propres au web social et au filtrage collaboratif,
ainsi que d’autres qui sont propres aux médias traditionnels.
Premièrement,
Le Post offre une page en une et se
divise en rubriques : politique, faits divers, etc. Deuxièmement, il
remplit des fonctions typiques du journalisme professionnel : d’une part,
la rédaction opère une validation et un recoupage des informations diffusées
par les posteurs et, d’autre part, il sélectionne les billets et en rédige en
suivant une ligne éditoriale prédéterminée et en appliquant à sa sélection des
critères qualitatifs (qualité, originalité). Il occupe donc une fonction de
garde-barrière en décidant de ce qui est digne ou non d’intérêt pour les
lecteurs et en mettant de l'avant les billets qu'il a retenus. Troisièmement, il assume la présentation visuelle et la mise en page du
site.
En quoi Le
Post constitue un média représentatif du web social
Le Post est également représentatif du web social. En premier lieu, le lecteur est
à la fois consommateur et producteur de nouvelles, en adéquation avec l’esprit
du web participatif. En second lieu, s’il sélectionne des contenus et en
délaisse d’autres, il permet néanmoins un accès à tout ce les posteurs
publient. Il fait office de filtre en ponctuant les billets méritants plutôt qu’en
éliminant les moins estimables. En troisième lieu, il permet à ses posteurs de
créer une page personnalisable et des groupes qui favorisent la formation de
communautés d’intérêt. En dernier lieu, il ouvre la porte au filtrage
collaboratif. Les lecteurs ont donc eux aussi l’opportunité de mettre en valeur
leurs billets ou leurs auteurs préférés, soit par le biais de la liste des
favoris, soit en les suivant à partir de leur page personnelle. Ils contribuent
également au classement des billets par l’apposition d’étiquettes et peuvent
lire des contributeurs avec lesquels ils partagent les mêmes champs d’intérêt.
Dans son
billet Les illusions de la
gamification, Yann Leroux critique les propositions avancées par Jane McGonigal, lors d’une conférence
donnée au TED en 2010. Celle-ci veut rendre le monde réel plus
proche du jeu et cherche des moyens pour régler les problèmes que rencontre
l’humanité dans la vie réelle (pénurie de pétrole, crises alimentaires, etc.)
par l’utilisation des jeux vidéo, des jeux à réalité alternée et des MMOG, notamment
(source : TED
et You Found Me).
Pour
illustrer le projet de la conceptrice de jeux vidéo, Yann Leroux fait la
comparaison suivante : « Le point de vue de Jane McGonigal est
exactement celui de l’ingénieur qui observe la beauté des chutes du Niagara et
qui rêve d’installer une centrale hydroélectrique. » La figure de style
est malhonnête. Les centrales défigurent les paysages et détruisent des
écosystèmes. Créer des jeux dont il ressort des bienfaits, une production
concrète ou des suggestions de solutions à des problèmes réels ne modifie pas
la finalité du jeu. C’est plutôt la manière dont l’énergie que les joueurs dépensent est canalisée pour la rendre socialement utile qui est en cause. La
nature des règles et les objectifs du jeu sont modifiés, mais la gratuité
inhérente au jeu demeure inchangée. L’intérêt, dans cette nouvelle façon de
jouer, est qu’elle s’accompagne d’une plus-value dont chacun peut retirer les
bénéfices.
La
comparaison de Yann Leroux fait passer la proposition de McGonigal pour un avatar
de la raison instrumentale là où un véritable projet de société nous
est présenté, dans lequel les joueurs peuvent mettre leur virtuosité au service
du bien commun et se sentir, autre forme de plus-value, socialement
(re)qualifié.
Leroux écrit également :
« S’entendre dire que farmer les Terres de feu est une façon de contribuer
à une meilleure marche du monde que peut qu’être plaisant (sic). » Cette répartie ironique appelle un éclaircissement: le « farming » consiste à accumuler de
l'argent, des objets ou de l'expérience dans les mondes virtuels (dans le
MMORPG World of Warcraft, par exemple)
en répétant constamment les mêmes tâches. Une économie réelle découle du
farming, en particulier en Chine (source : Abel Segretin).
En clair, c’est l’antithèse de l’activité ludique. On délaisse la gratuité du jeu, son essence, pour
générer des profits. Ladite répartie est spécieuse, car McGonigal n'emploie pas les jeux
vidéo existants; elle tente plutôt d'en développer de nouveaux types, spécialement adaptés à son projet. De plus, le farming est une activité
individuelle et égoïste, alors que les jeux tels qu’elle les envisage
nécessitent la collaboration d’une multitude de joueurs et produisent des
retombées positives pour la collectivité.
Plus loin dans son billet, Yann Leroux remet en question la pertinence des propositions de McGonigal
en avançant plusieurs arguments :
a)Premier argument : le
jeu vidéo revêt des conséquences minimes pour les joueurs (« Jouer à être aux commandes d’un F-14
Tomcat et larguer des bombes sur un objectif en criant “Bombs away” est sans
conséquences. Etre aux commandes d’un drone qui affichera à peu près le même
écran est tout à fait autre chose »).
Les jeux développés jusqu’ici par McGonigal (voir la description de A World Without Oil,
dans mon billet De
quel avenir le jeu est-il porteur?) permettent aux joueurs de simuler une situation problématique et de
s’y adapter en trouvant des solutions concrètes, lesquelles pourront être
appliquées dans des situations réelles par la suite. Or, la simulation s'accompagne
précisément de conséquences minimes. Celui qui s’y adonne
peut alors s’aguerrir tout en étant épargné par les dangers d’une situation réelle.
De plus, je ne crois pas que McGonigal ait eu à l’esprit de résoudre le
problème de la faim dans le monde à coups de bombes.
Leroux
souligne que dans le monde réel, on ne peut changer de jeu (« Chaque
individu, chaque société est pleinement dans le jeu social et ne peut en sortir »).
Encore une fois, les jeux de McGonigal sont des simulations. Rien n’empêche les
joueurs de se retirer. C’est la puissance du nombre et la synergie des
intelligences en interaction qui font l’efficacité du jeu, pas la participation
continue d’individus indispensables qui seraient impliqués du début à la fin
d’une partie (à titre d’exemple, la mort d’un neurone ne rend pas une fonction
cérébrale inopérationnelle). Aucun joueur n’a donc besoin d'être enchaîné à sa console.
Qui plus
est, nous sommes constamment à la recherche de moyens de nous adapter à des
situations problématiques dans le cadre de notre existence réelle. Cela
ne signifie pas que chaque solution que nous envisageons sera mortellement sanctionnée par notre environnement. Les jeux
de Jane McGonigal peuvent avoir des répercussions dans la réalité sans forcément qu'il y en ait sur les joueurs.
b) Second
argument : « les pratiques engagées dans les jeux vidéo sont égoistes
(sic) et ne permettent pas de bâtir une société ».
L’égoïsme
n’est pas foncièrement un obstacle aux réalisations collectives. Le partage des
fichiers pair-à-pair sur e-mule est
un bon exemple d’égoïsme collectivement payant. Pour qu’un usager accède
rapidement à des contenus, il doit en effet permettre un accès rapide aux siens. Même s’il refuse de mettre à disposition ses fichiers, il
partagera néanmoins celui qu’il est en train de télécharger et ce, tout au long du
téléchargement. Ajoutons qu’un grand nombre de motivations personnelles peut
être socialement utile, pourvu que celles-si soient adéquatement canalisées. L’appât du gain
motive le voleur, mais aussi l’ouvrier qualifié, sans qui les infrastructures
publiques seraient inexistantes.
Ensuite, si les
jeux vidéo ne sont pas faits pour bâtir une société, rien n’empêche néanmoins
les joueurs de tester virtuellement des formes alternatives de gouvernance ou
d’édifier des sociétés conformes à leurs convictions. À terme, cela pourrait conduire à l'érection d'une nouvelle forme de gouvernance ou à de nouveaux modes de vivre-ensemble.
c)
Troisième argument : les jeux vidéo subissent l’influence d’idéologies.
Yann Leroux écrit : « Comment les jeux vidéo si en phase avec les
idéologies du moment pourraient porter ne serait-ce qu’un début de révolution ? ».
Il n’est
pas dans mon intention de remettre en cause l'existence de biais dans les médias (jeux vidéo
y compris). Ceci dit, la défense du statu quo et les velléités commerciales
des producteurs de jeux vidéo ne sont pas une fatalité. Comme il existe des
médias alternatifs - trop peu, je le concède -, il est également possible de
créer des jeux vidéo présentant des points de vue dissidents, pour le meilleur
et pour le pire. Ainsi, il est des jeux qui font la promotion de
l’anti-islamisme ou de l’antisionisme (lire, à ce sujet, Muslim
Massacre, le jeu vidéo politique inabouti, d’Olivier Mauco) et d’autres, comme les productions du collectif
d’artistes Molleindustria, qui
suscitent des réflexions sur la société, la consommation, l’aliénation et
l’exploitation des travailleurs (source : Molleindustria). De plus, certains programmeurs altèrent des
jeux existants, à l’image de Escape from
Woomera, basé sur Half-Life et
dénonçant les mauvaises conditions de vie des immigrants à leur arrivée en
Australie(source : Amélie
Paquet).
d) Enfin, quatrième
argument : les problèmes présentés dans les jeux vidéos sont programmés
pour être surmontés par les joueurs, pour peu qu’ils y mettent le temps requis.
Les solutions à ces problèmes ont été prévues par le concepteur et sont donc
prévisibles, alors que dans la réalité, les héros ont du œuvrer dans
l’impensé.
A World Without Oil, le jeu en
réalité alternée conçu en partie par McGonigal, est l’antithèse d’un jeu figé, aux
possibilités prédéterminées, et contredit cet argument. Le jeu simulait une pénurie de pétrole et on demandait aux joueurs
qu’ils imaginent et documentent leur vie dans cette situation, puis qu’ils
trouvent des solutions pour s’y adapter. Les objectifs du jeu étaient
spécifiés, mais sa structure favorisait l’impensé (le jeu de réseau social Evoke
fonctionne selon le même principe).
En terminant...
Rendre le monde réel plus proche du jeu et chercher des moyens pour
régler des problèmes de la vie réelle à l’aide des jeux vidéo apparaît comme utopique,
voire naïf. Nul ne s’attend en effet à régler tous les maux de l’humanité de la
sorte. Cependant, les projets de Jane McGonigal ont obtenu des résultats prometteurs.
De plus, l’extension et la banalisation progressives de la culture
participative pourrait constituer un excellent terreau pour accueillir des
initiatives qui vont dans le sens de la proposition de la conceptrice de jeux.
Pour convaincre ses contemporains que croire en Dieu était chose sensée, Pascal a écrit :
« Pesons le gain et la
perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez,
vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est,
sans hésiter » (Les
Pensées). Le pari de
McGonigal est du même ordre : faible mise, donc faibles pertes à
envisager, mais espérance de gain énorme.
Dans l’article Communautés
virtuelles : ce qui fait lien, Serge Proulx se réfère au sociologue
Ferdinand
Tönnies pour définir la communauté comme un ensemble de personnes liées
émotionnellement et géographiquement. Il définit ensuite la
« virtualité », dans un contexte technologique, comme un
environnement à la fois social et symbolique qui constitue une simulation du
réel. Les communautés virtuelles forment alors des ensembles de personnes unies
par des intérêts communs, mais éloignées géographiquement. Proulx distingue la notion
de « communauté virtuelle » de celle de « réalité
virtuelle », car la communauté virtuelle permet d’établir des échanges
réels hors de la coprésence physique, alors que la réalité virtuelle désigne un
environnement simulé dans lequel les sujets sont immergés et avec lequel ils
interagissent en expérimentant des sensations artificielles. La réalité
virtuelle transforme alors le rapport à la vérité, puisque les objets qu’elle
contient ne sont pas simplement des représentations, devenant vrais lorsqu’ils
sont expérimentés par les sujets. Le chercheur ajoute que les deux notions
présentées ne sont pas incompatibles, car elles président aux jeux collectifs
tels que les MUD et les MOO, qui estompent la frontière entre réel et virtuel.
La combinaison entre communauté et réalité virtuelles se
retrouve également dans le cadre des MUVE (Multi-User
Virtual Environments) et des MMOG (Massively
Multiplayer Online Game), leurs descendants directs. Le cas spécifique de la
communauté goréenne de Second Life
illustrera la complexité qui ressort de cette combinaison.
La communauté goréenne est composée de joueurs qui ont en commun leur passion pour les Chroniques de Gor, romans de science-fiction
écrits par John Norman. Ces romans sont fortement teintés de machisme et de
sadomasochisme et se déroulent dans un
monde structuré autour de l’esclavage et de la barbarie (source : H+
Magazine). Il s’agit donc
d’une communauté d’intérêt.
Les membres d’une communauté sont liés de quatre façons : ils partagent
certaines caractéristiques communes, ils se conforment au comportement qu’il
est attendu d’eux, ils respectent les règles internes de la communauté et leur
identité est partiellement déterminée par leur appartenance à celle-ci (source :
INF 6107). Voyons comment ces liens s’appliquent à la communauté goréenne (nos observations
reposent sur l’article The Gorean Community
in Second Life:Rules of Sexual Inspired Role-Play, de Tjarda Sixma) :
Caractéristiques : les membres de la communauté goréenne adhèrent à la philosophie de
Norman et la connaissance de son œuvre est un pré-requis. Les
avatars, quant à eux, sont soumis à un ensemble de traits sociaux
précis (division en castes, par exemple). La distinction entre membres et
non-membres s’accompagne également d’une division physique : un mur invisible
sépare les Goréens des autres avatars de Second Life.
Comportements :
les joueurs
ne peuvent communiquer qu’en conformité avec leur personnage. Aussi, les
discussions hors-personnages (entre les usagers de Second Life), les comportements déplacés de la part des joueurs ou
l’emploi d’expressions propre au « tchat » (« LOL », par
exemple) sont désapprouvés (source : Tjarda Sixma). Il
s’agit, d’une part, de protéger la vraisemblance du jeu de rôle et de réguler
les comportements des joueurs. Les comportements des avatars, quant à eux,
dépendent des us et coutumes attendues des habitants de la planète fictive de
Gor.
Règles
internes: celles-ci
sont nombreuses et changent d’une ville à l’autre. La ville de Veroda, par
exemple, lie ses citoyens par une charte rédigée par les propriétaires du SIM (l’environnement
3-D qui représente la ville en question, créée et gérée dans le cadre de Second Life). Des règles régissent la
résolution de conflits entre les joueurs, d’autres sont propres à chacune des
castes du monde de Gor et d’autres encore concernent l’ensemble de ses
habitants. Ces dernières s’accompagnent de peines, advenant leur non-respect (châtiments
corporels, peine de mort, etc.).
Identité :
Un
sentiment d’adhésion à la culture et à la philosophie goréennes des joueurs,
ainsi qu’une passion commune pour l’œuvre de Norman définit l’identité de
ceux-ci. C’est en ce sens que la communauté goréenne est une communauté d’intérêt.
Les degrés d’identification et d’adhésion sont néanmoins variables d’un membre
à l’autre et président à la création de sous-communautés. Cette variabilité se
rapporte à deux continuums. Le premier est lié à l’implication du joueur dans
son avatar. Il va du joueur pur et dur (« lifestyler »), qui tend à ne
pas opérer de distinction entre lui et son personnage, au simple rôliste (« role-player »),
qui joue un rôle distinct de sa personne. Le second continuum concerne le degré
de fidélité des lecteurs par rapport à l’œuvre de John Norman. D’un côté se trouvent
les puristes, qui n’acceptent pas l’incarnation de personnages non tirés des
romans des Chroniques de Gor. De l’autre
côté se trouvent les « Disney Gor » (terme péjoratif employé par les puristes),
soit les joueurs qui prennent certaines libertés vis-à-vis de l’œuvre.
L'interpénétration de la communauté, de la communauté d'intérêt et de la réalité virtuelle
Si l’on revient à la combinaison entre la communauté et
la réalité virtuelles, on constate d’abord que la communauté goréenne n’est d’« intérêt
» qu’au niveau des joueurs. D’un point de vue fictionnel, par contre, les
personnages forment des communautés au sens strict définit par Ferdinand Tönnies.
En effet, elles sont ancrées géographiquement et revêtent une dimension émotive
importante : érotisme, haine entre les clans et entre les villes, mépris
ou attirance pour les membres des autres castes, soumission envers le maître,
sentiment de puissance envers l’esclave, etc.
C’est par l’émotion et principalement par l’érotisme qu’il
est possible de parler de réalité virtuelle au sein de la communauté goréenne,
puisque les joueurs éprouvent, à travers leur avatar - une entité virtuelle -
des émotions et des sensations érotiques réelles, concrètes. Les joueurs vivent donc dans une communauté au sens traditionnel par leur incarnation dans un corps numérique.